A Lodève
(34), les adeptes du lamaïsme vendent des repas végétariens et tentent de redorer l'image de leur
guru, le ventripotent Sogyal dénoncé par une journaliste de
Marianne. Mais dans leurs
temples, les lamaïstes font des offrandes (tsoks) de viande aux dharmapalas, les entités protectrices du Vajrayana. Le
guru Sogyal, qui est en réalité un carnivore invétéré, serait-il une sorte de père Ubu, l'Ubu Guru de Jean-Claude Carrière et de Peter Brook qui avaient
présenté au festival d'Avignon une version théâtrale du
Mahabharata ?
« Pendant
notre préparation du Mahabharata, l'idée nous vint, pour
nous détendre, pour nous donner un contrepoids aussi dérisoire que
distrayant, d'imaginer une farce que Peter Brook appelait Ubu
Guru.
Idée
simple : le père Ubu et la mère Ubu, toujours très unis, ont
décidé de s'installer en Inde et d'y exploiter la belle innocence
des touristes. Ou plutôt : poursuivis par la justice
internationale, ils ont dû changer d'identité et se réfugier dans
les forêts du Tamilnadu, où ils font profession de sainteté, et
gagnent ainsi leur vie.
J'ai
conservé un extrait du dialogue. Le couple célèbre entend tout à
coup le Klaxon d'un car de touristes (le chauffeur est évidemment
leur complice). Le père Ubu s'écrie :
— Vite,
mère Ubu, passez-moi mon cordon brahmanique et ma trompette à puja.
Préparez le tambour méditatif et le grand bassin à phynances.
Prenons l'asana le plus favorable...
— C'est
la position du lotus, père Ubu.
— Au
diable votre lotus ! Cornegidouille ! J'ai les deux genoux en compote
!
— Assez
de gémissements, père Ubu. Vous avez appris à contrôler votre
musculature graisseuse par la méthode du Hatha-Yoga, vous êtes
devenu Guru de première classe...
(Elle
frappe sur un gong : Gong !)
— ...
vous avez atteint, par la simple contemplation de votre nombril, la
sérénité (gong !), la clairvoyance (gong !), la patience et
l'action désintéressée (gong ! gong !).
— Doucement,
mère Ubu, n'oubliez pas nos petites oboles.
— Vous
êtes devenu le Swami Ubushrapolonistamam, maître de toutes les
sagesses. Voici que le car de touristes s'approche.
— Les
pétales de fleurs sont prêts ?
— Oui,
père Ubu, bien qu'un peu desséchés.
— Et
l'eau lustrale ?
— Oui,
père Ubu, bien qu'un peu glauque.
— Et
les noix de coco pour le sacrifice ?
— Tout
est prêt, père Ubu.
— Merdre,
mère Ubu, j'ai les intestins qui grondent.
— Avez-vous
pris votre Nivaquine ?
— J'ai
oublié !
— Trop
tard, voici les touristes, soufflez dans la trompette à puja et
regardez à l'intérieur de vous-même.
— Ce
n'est pas beau à voir.
— Et
passez-moi maintenant les timbales.
— Vous
voulez boire, mère Ubu ?
— Ah,
la grosse bête ! Les timbales à musique, vieil animal !
Nous
avions imaginé que le capitaine Bordure faisait partie du groupe de
touristes, que l'affreux couple ne parlait qu'un misérable anglais.
Parmi les touristes s'est glissé par malheur un Tamoul, qui parle sa
langue. Les Ubu, bien entendu, n'y comprennent goutte. Que faire ?
— Very
good tamoul, dit le père Ubu, pour gagner du temps.
Et sur
les conseils de la mère Ubu, il entre en transe.
A
d'autres moments nous pensions que le père Ubu pouvait se présenter
comme la dernière incarnation de Vishnu, et se disputer férocement
avec la mère Ubu à coups de colliers de fleurs.
Je
trouve aussi ces répliques éparses :
— Respirez
deux fois par la narine droite. Dites : « Hink ! » Expirez par
la glande pinéale !
— Où
se trouve-t-elle ? demande quelqu'un.
— A sa
place, imbécile ! Si vous ne la trouvez pas, n'expirez pas.
N'expirez jamais et expirez ! C'est bien fait pour vous !
(Et
aux autres :)
— Mettez
un doigt dans la bouche, pardonnez à ceux qui ne vous ont pas
offensés et n'oubliez pas de manger de la laitue.
Le père
Ubu se plaignait amèrement de ne pas pouvoir méditer. Le bruit d'un
oiseau, d'un avion, le dérangeait sans cesse. « Je n'arrive pas à
trouver mon calme intérieur, disait-il, et cela m'irrite ! »
A regret
nous avons abandonné la farce démystifiante, faute de temps
surtout. Si quelqu'un veut la ressaisir... »
Jean-Claude
Carrière, Dictionnaire amoureux de l'Inde.