Peu après la Seconde Guerre mondiale
et la fin du colonialisme, certains religieux chrétiens prirent
conscience de la nécessité d'un rapprochement et d'un échange
réciproque entre l'Orient et l'Occident. Un des pionniers en la
matière fut le bénédictin français Henri Le Saux (1910-1973) qui,
en 1948, débarqua sur le sol indien, non en missionnaire, mais afin
de mener la vie renoncée des sannyasin hindous, avec le père
Monchamin qui l'avait précédé en Inde. Ils fondèrent un petit
ashram, Shantivanam (« la forêt de la paix ») dans le sud de
l'Inde. Le père Le Saux y mourut sans être jamais revenu en France.
C'est aussi en Inde que le cistercien
américain Thomas Merton (1915-1968) se rendit en 1968, afin de
participer à des rencontres inter-monastiques entre moines chrétiens
et moines bouddhistes. Entré en 1941 à la Trappe de Gethsemani dans
le Kentucky, Merton s'était depuis longtemps senti attiré par les
spiritualités orientales. Aux États-Unis, il avait rencontré D.
Suzuki, puis échangé avec lui une importance correspondance. En
1968, en Inde, Merton fut reçu par le quatorzième Dalaï-lama, il
rencontra Chôgyam Trungpa, puis il étudia auprès d'un lama
tibétain avant de se rendre à un grand rassemblement
inter-religieux à Bangkok, où il mourut accidentellement. Auteur de
nombreux ouvrages de spiritualité, dont le récit de sa conversion
intitulé La Nuit privée d'étoiles (traduit en français en
1951), qui connut un très vif succès, Merton a écrit deux livres
essentiels sur le Zen et le christianisme Zen, Tao et Nirvana
(1970) et Mystique et Zen (1972).
Le jésuite allemand Hugo Lasalle
(1898-1990) s'engagea plus directement encore. Arrivé en 1929 à
Tokyo pour prendre en charge une petite paroisse catholique, il fut
ensuite muté à Hiroshima, où il fut témoin de l'explosion de la
bombe atomique en 1945. Il décida alors de se consacrer à la
compréhension entre les peuples. Peu après, il rencontra le
bouddhisme zen sous la forme de l'école Sambô Kyô dan dont il
reçut la transmission. Naturalisé japonais sous le nom d'Enomiya
Lasalle, il ouvrit un zendô à Tokyo, où il enseigna et fit
pratiquer le zazen, déclarant : « Le catholicisme ouvre ses portes
aux autres religions, c'est pourquoi j'ai fait construire un zendô
qui sera ouvert à tous. » Depuis lors et jusqu'à sa mort, le père
Lasalle a répandu le Zen, particulièrement en Allemagne où il eut
de nombreux disciples, dont certains sont devenus des enseignants ;
parmi eux, plusieurs religieux, jésuites, dominicains, franciscains
ou prêtres séculiers.
Par ailleurs, au Japon, Koun Yamada
(1907-1989), disciple laïc et successeur de Hakuun Yasutani à la
tête de l'école Sambô Kyôdan, a enseigné le Zen au San'
un zendô de Kamakura à de nombreux étrangers. Parmi eux, plusieurs
prêtres catholiques furent ensuite autorisés à enseigner, tel le
père Willigis Jäger, bénédictin allemand qui, en 1982, a ouvert
la Maison Saint-Benoît (Haus St Benedikt) à Würzburg, où sont
pratiqués conjointement le zazen et la liturgie chrétienne. À son
tour, le père Jâger a donné l'autorisation d'enseigner à
plusieurs de ses disciples, eux aussi religieux catholiques, comme le
père Billot, bénédictin français. D'autres prêtres et moines,
s'inspirant des enseignements du Zen et ayant souvent séjourné au
Japon, ont ouvert des centres mixtes : en France, le père Rérolle,
prêtre mariste (1926-2001) et le père Breton ; en Belgique, le père
de Béthune. Tous les ans, se tiennent des colloques d'échanges
entre moines chrétiens et moines bouddhistes. Il n'empêche que le
catholicisme possède un dogme intangible qui fait que certains
aspects de la doctrine bouddhique sont pour lui inacceptables : ainsi
la notion de karma, ou celle de l'inexistence d'une âme immortelle
(anâtman) ; réciproquement, pour un bouddhiste, l'idée d'un Dieu
personnel et créateur ou celle de la résurrection des corps sont
inconcevables. C'est pourquoi certains enseignants chrétiens ont
tendance à détacher le Zen du bouddhisme, au risque de lui faire
perdre sa véritable nature, et par là son efficacité.
Jacques Brosse