Sunday, September 14, 2014

Le secret de la fleur d'or

Le naturel s'appelle la Voie.
La Voie n'a ni nom ni forme :
C'est simplement l'essence,
Simplement l'esprit primordial.


Le Secret de la Fleur d'or est un manuel de méthodes de clarification de l'esprit à l'usage du profane, fondées sur des enseignements bouddhique et taoïste. Florilège des techniques « psycho-activatrices » présentées dans les anciens classiques de la spiritualité orientale, ce livre décrit un moyen naturel de libération mentale pratiqué en Chine pendant des siècles.

La méthode de la « fleur d'or » incorpore la quintessence du bouddhisme et du taoïsme. L'or signifie la lumière, la lumière de l'esprit ; la fleur symbolise l'épanouissement, le jaillissement de la lumière de l'esprit. Ainsi, le nom même de cette technique désigne l'éveil fondamental du vrai soi et de son potentiel caché.

Exprimé en termes taoïstes, le but essentiel de « la Voie » consiste à retrouver l'esprit originel et divin pour se réaliser en tant qu'être humain. Dans l'optique bouddhique, un être pleinement réalisé est conscient de l'esprit originel, ou vrai soi, tel qu'il se manifeste spontanément à l'état naturel, vierge de tout conditionnement.

Cet esprit originel s'appelle aussi « esprit céleste » ou esprit naturel. Mode de conscience plus subtil et plus direct que celui de la pensée ou de l'imagination, il est essentiel à l'épanouissement de l'esprit. Le Secret de la Fleur d'or vise donc à recouvrer et à raffiner l'esprit originel.

Si ce livre contient une série de techniques de méditation fort utiles, sa méthode clé est bien autre chose qu'un simple procédé méditatif. Il s'agit en effet d'un processus qui permet de parvenir à la source même du principe conscient, sans recourir à des idées ou à des images. L'exercice a pour but de libérer l'esprit des limitations arbitraires et inutiles que lui imposent ses réflexes habituels de fixation sur son propre contenu. Une fois libéré de cet auto-conditionnement, disent les taoïstes, l'homme pleinement conscient cesse d'être prisonnier de sa condition et devient un « partenaire de la création ».

L'expérience de l'épanouissement de la fleur d'or est comparé à la lumière qui emplit le ciel, le ciel de la conscience inconditionnée, autrement plus vaste que le domaine restreint des images, des pensées et des sentiments : un espace sans obstacle, qui contient tout sans jamais être rempli. On accède ainsi à une intarissable source d'intuition, de créativité et d'inspiration : une fois que l'on a appris à mobiliser ce pouvoir d'éveil mental, on peut constamment y faire appel et l'approfondir à l'infini.

La pratique essentielle de la fleur d'or ne requiert aucun équipement, aucune adhésion à un dogme philosophique ou religieux, aucun accessoire ou rituel particulier : elle se pratique au cœur même du quotidien. Elle est donc accessible à tout moment puisqu'elle dépend de l'esprit même, bien que n'impliquant pas la mise en œuvre de pensées ou d'images mentales. Sa seule difficulté réside dans le fait qu'elle utilise l'attention d'une manière inhabituelle pour un esprit qui a coutume de fonctionner selon le mode discursif de la pensée ou de l'imagination.

La singularité du Secret de la Fleur d'or vient de ce que ce livre offre une méthode directe de réalisation de soi, accessible à tout un chacun. L'ouvrage fut écrit il y a plus de deux cents ans au cours d'une période de crise suscitant une grande renaissance de cet ancien enseignement qui, depuis lors, est périodiquement revenu au goût du jour dans les moments difficiles, du fait de la rapidité avec laquelle cette méthode permet d'accéder aux ressources cachées de l'esprit. [...]

Ayant consacré un bon nombre d'années à l'étude du bouddhisme chan, précurseur chinois du zen, j'ai apprécié le chan classique parce qu'il s'intéressait directement à l'essence de l'esprit, sans s'embarrasser de dogmes ou d'additions culturelles.

Cette simplicité de la démarche des classiques chan repose sur un procédé particulièrement intéressant, à savoir qu'ils condensent les enseignements des diverses écritures et écoles bouddhiques sous forme d'histoires symboliques, illustrant l'état naturel de l'esprit. Nombre de ces histoires ont directement trait au retournement de la lumière et, étant donné mon cheminement personnel, ce sont surtout celles-là qui ont retenu mon attention. Cependant, certaines sont complexes et difficiles puisqu'elles traitent de l'intégration créatrice de l'esprit de la fleur d'or à la vie du monde ordinaire. Elles nécessitent donc un travail mental au quotidien, et il m'a fallu bien plus longtemps pour commencer à en pénétrer le sens. J'ai finalement appris à pratiquer le retournement de la lumière selon les méthodes de toutes les grandes écoles du bouddhisme. Initialement, les moyens d'éveil de la conscience qu'enseignent le chan et le bouddhisme des Terres Pures eurent un très profond effet sur moi, mais j'ai eu par la suite l'occasion de constater que les techniques des différentes écoles avaient chacune leurs avantages propres. J'ai donc continué à pratiquer en appliquant chaque fois la méthode qui me semblait la plus appropriée à mes besoins du moment, ou la plus susceptible de raviver une inspiration fléchissante.

J'ai parallèlement étudié les divers systèmes mis au point par les écoles bouddhiques pour aider les pratiquants à expérimenter la conscience de la fleur d'or de manière fructueuse. Ce qui a contribué à éclaircir aussi bien les aspects pratiques que théoriques de la question, à savoir mon vécu quotidien et les résultats de mes recherches sur l'esprit, tel qu'il est conçu par la littérature orientale ancienne. C'est au cours de ces études que les circonstances m'ont mis en contact avec le taoïsme. Dans les années suivant ma première rencontre avec le bouddhisme, je m'étais également penché sur d'autres grandes traditions de l'Asie, telles que l'hindouisme, le confucianisme, le taoïsme et le soufisme. J'avais aussi lu la Bible, le Coran et les écrits des traditions mystiques du judaïsme et du christianisme. À la faveur de toutes ces recherches, j'en vins à constater que la méthode du retournement de la lumière m'avait ouvert les yeux sur l'existence d'une dimension insoupçonnée dans la littérature des autres religions. Grâce à l'apprentissage de cette technique, une appréciation neuve de la dynamique mentale du fait religieux s'imposait à moi spontanément, au-delà de toute distinction culturelle ou dogmatique. [...]

Si l'on écarte les déviations cultistes, scolastiques et culturelles, j'estime que le chan dans sa forme essentielle est sans doute un des éléments de l'enseignement de la fleur d'or — voire du bouddhisme en général — qui peut être le plus utile au monde occidental contemporain. Outre les techniques « psycho-activatrices » qu'il utilise, le chan propose en effet des structures psychologiques et intellectuelles qui forment d'excellents outils d'analyse, permettant à l'esprit de distinguer la logique interne des choses. Naturellement, la valeur pratique de ces méthodes dépend de l'efficacité avec laquelle elles sont mises en œuvre — telle la pratique selon Le Secret de la Fleur d'or, par exemple.

La théorie et la pratique de la méthode de la fleur d'or ont leur équivalent dans les traditions grecque et chrétienne, mais je pense qu'on peut plus facilement les analyser en termes de psychologie profane si l'on ne s'encombre pas d'une abondance de concepts philosophiques et religieux et que l'on se base sur les procédés chan, parfaitement compréhensibles et utilisables sans aucune connaissance préalable de la culture chinoise.

Le Secret de la Fleur d'or représente une façon d'arriver à la plénitude de l'énergie à travers la plénitude de l'esprit. L'enseignement se qualifie du reste lui-même de « transmission spéciale en dehors de la doctrine », fondée sur la perception directe de l'essence de l'esprit et la réappropriation de son potentiel inhérent. C'est en fait le signe distinctif du chan qu'on appelle parfois l'école de l'esprit éveillé.

À des fins pratiques, l'enseignement de la fleur d'or établit une distinction entre « l'esprit originel » et « l'esprit conscient ». L'esprit originel représente l'essence même de l'esprit, sans forme particulière, inconditionnée, transcendant la culture et l'histoire. L'esprit conscient correspond à l'ensemble des données mentales, des sentiments, pensées et attitudes conditionnés par l'histoire personnelle et culturelle de chacun, et emprisonnés dans des formes spécifiques imposées par l'habitude. Ces termes s'emploient aussi bien dans la tradition chan que taoïste.

L'intuition appartient à l'esprit originel, l'intellect à l'esprit conscient. L'essence du taoïsme consiste à raffiner l'esprit conscient pour le « réunir » à l'esprit originel. Le bouddhisme chan appelle aussi l'esprit originel primordial « l'hôte » ou « le maître », l'esprit conscient conditionné étant « l'invité » ou « le serviteur ». L'ignorance causée par soi-même apparaît quand le serviteur prend la place du maître, l'éveil par soi-même se produisant lorsque le maître retrouve son autonomie, au « centre ».

Cette notion de deux esprits ou de deux aspects de l'esprit se trouve déjà dans le vieux classique taoïste, le Tao Té Ching : « Usant du brillant rayonnement, vous retournez à la lumière, sans rien laisser qui puisse vous nuire. C'est ce qu'on appelle "entrer dans l'éternel". » On a là l'image du rapport idéal entre l'esprit originel, source du pouvoir, et l'esprit conscient, fonctionnaire subalterne. Une fois devenu clair, l'esprit conscient fonctionne de manière appropriée à la situation considérée, sans usurper l'autorité de l'esprit originel. Ce dernier demeure accessible, réserve d'intelligence lucide et vigilante à laquelle l'esprit conscient retourne, sans fixation nuisible sur lui-même ou sur ses objets.

Ainsi, l'intellect peut fonctionner efficacement dans le monde sans que cette activité de la conscience entrave l'accès à une connaissance spontanée et plus profonde, grâce à l'intuition directe d'une faculté plus subtile.

On appelle « renversement » ou « retournement de la lumière » l'opération qui consiste à passer de l'esprit limité, qui est celui de la conscience conditionnée, à l'esprit libéré, qui est celui de l'esprit primordial. Dans Le Secret de la Fleur d'or, ces termes correspondent au rétablissement d'un contact direct avec l'essence et la source de l'esprit. Ce contact direct permet d'accéder à la connaissance spontanée et de se libérer du joug des pensées et des sentiments conditionnés, alors même qu'ils surgissent. Pour citer le Tao Té Ching : on peut être « créatif sans possessivité ».

Dans le taoïsme comme dans le bouddhisme, le « retournement de la lumière » signifie détourner l'attention de la fascination que lui inspirent les objets pour la diriger sur l'essence ou source de l'esprit. Cet exercice sert à clarifier la conscience et à libérer l'attention. De nombreux taoïstes qui avaient de fortes affinités avec le bouddhisme chan firent un grand usage de cet exercice du retournement de la lumière qui, bien que commun à toutes les écoles bouddhistes, est particulièrement important dans le chan. Le Secret de la Fleur d'or représente l'une des méthodes les plus radicales pour atteindre l'éveil par des moyens spirituels, et le texte est pratiquement entièrement consacré à la présentation des subtils détails de cette simple pratique du retournement de la lumière.

On trouve dans de nombreuses sources chan, zen ou taoïstes, la description des différentes techniques et « trucs » qui permettent d'induire, de développer et d'intégrer l'expérience menant à l'épanouissement de la fleur d'or. Le principe fondamental et la base même de la pratique sont exposés en termes simples dans les enseignements de Dahui (Ta-hui), célèbre maître chan du XIIe siècle : « Le bien et le mal viennent de votre propre esprit. Mais, qu'appelez-vous votre esprit, en dehors de vos actes et de vos pensées ? Et d'où vient votre esprit ? Si vraiment vous savez d'où vient votre esprit, une infinité d'obstacles créés par vos propres actes disparaîtront aussitôt. Ensuite, toutes sortes de possibilités extraordinaires s'offriront à vous, sans même que vous les cherchiez. »

Il y a quantité d'histoires chan qui parlent des différentes façons d'accéder à l'exercice de la fleur d'or. Certaines sont très simples et peuvent resservir indéfiniment.

Un disciple interrogea un maître : « Qu'est-ce que le Bouddha ?
Le maître répondit : « Cet esprit est bouddha. »

Un disciple interrogea un maître : « Que doit-on faire quand sans cesse apparaissent et disparaissent [les pensées] ? »
Le maître répondit : « Tttt ! À qui appartient ce qui apparaît et disparaît ainsi ? »

Un maître demanda un jour à un disciple « D'où viens-tu ? »
Le disciple répondit qu'il venait de tel et tel endroit. Le maître s'enquit alors : « Y penses-tu ? »
Le disciple répondit que oui, souvent.
Le maître dit alors : « Celui qui pense est l'esprit ; l'environnement est ce à quoi il pense. Cet environnement comprend des montagnes, des rivières, des terres, des maisons, des gens, des animaux et ainsi de suite. Maintenant, retourne ta pensée pour penser à l'esprit qui pense : s'y trouve-t-il autant de choses ? »

Ces procédés chan illustrent quelques-unes des manières de gérer l'attention dans le but d'induire l'expérience de la fleur d'or. Cette technique mentale serait peut-être applicable à la théorie et à la pratique de la pychothérapie, du fait qu'elle représente une compréhension transcendante de soi, une méthode d'expérience du soi au-delà des distorsions de la personnalité, et une concentration sur la source vive de l'autonomie et de la maîtrise de soi.

L'enseignement de la fleur d'or offre au thérapeute des techniques de développement d'une plus profonde perception intérieure et d'une meilleure prise de conscience du potentiel humain, ainsi qu'un moyen d'entrer en contact avec le patient à un niveau mental qui ne soit pas pollué par les afflictions psychiques. Le patient, quant à lui, peut y trouver un moyen autonome de connaissance de soi, au-delà du domaine conditionné de la personnalité, des jugements et des opinions.

Correctement utilisée dans le contexte de la vie contemporaine, et non comme une sorte de culte exotique mal digéré, la pratique de la méditation de la fleur d'or a le pouvoir de dissiper l'influence des compulsions névrotiques. Pourvu qu'elle soit bien comprise et pratiquée...

Thomas Cleary, Le secret de la fleur d'or.


Mise en garde :

Le secret de la fleur d’or est connu de cerains new-agers qui souhaitent créer l'embryon de lumière. Malheureusement, c’est une déplorable traduction de Wilhelm qui s’est répandue.Traduction utilisée par Carl Gustav Jung pour son étude intitulée : "Commentaire sur le mystère de la Fleur d’or". Les erreurs de Wilhelm et de Jung inversent le sens du traité. L’inversion caractérise le nouvel âge et la contre-initiation.

Le jésuite, Etienne PERROT, professeur à la faculté des sciences sociales et économiques de l'institut catholique de Paris, a fait connaître au public francophone les textes tronqués de Wilhelm et de Jung, accélérant ainsi la confusion.

L’orientaliste Thomas Cleary s’efforce de corriger les égarements de Wilhelm, "décidément enclin à voir dans ce texte toutes sortes d’idées bizarres et de superstitions qui ne s’y trouvent pas ", écrit Cleary".