Sunday, September 14, 2014

Ashoka Mukpo : l’ombre blanche du Bouddhisme



Quand votre père est un juif New New-yorkais, votre mère une aristocrate anglaise, et votre nom Ashoka Mukpo, vous passez beaucoup de temps à répondre à des questions sur votre identité. « Quand je rencontre quelqu’un, ça se produit dans les 20 secondes, je dois expliquer toute ma vie », dit Ashoka, 31 ans. « En général je dis juste, « Oh, mes parents étaient des hippies ». Si je suis dans une situation plus formelle, je dit « Oh, mon beau-père était tibétain ». Et s’il parle à quelqu’un qui connaît quelque peu l’histoire de l’arrivée du Bouddhisme tibétain en Occident, il dit la vérité. « Je dis alors, « mon père est Chogyam Trungpa », et Dieu sait quel genre conversation absurde va suivre ».

La mère d’Ashoka, Diana, a épousé Trungpa à l’âge de 16 ans, et elle a pris son nom tibétain, Mukpo. Elle était à ses côtés dans les années 70, pendant qu’il construisait un empire dérivé du mouvement hippie à Boulder, Colorado, et obtenait une renommée culturelle encore plus grande, en tant que gourou d’Allen Ginsberg et de Joni Mitchell. Contrairement au Dalaï-lama, qui s’en tient aux fondamentaux du Bouddhisme – en minimisant les souffrances de la vie - Trungpa a initié ses étudiants à l’aspect tantrique de la tradition : l’effort pour libérer les énergies de la vie quotidienne afin d’avancer plus vite sur le chemin de l’éveil. Sa communauté, finalement appelée Shambhala, était connue pour ses fêtes alimentées par l’alcool et le sexe, dont on disait pour les justifier qu’il s’agissait d’exercices tantriques – transformant le poison de l’alcool ou libérant chacun de l’attachement à l’amour romantique conventionnel. « Je ne sais pas, mec », dit Ashoka. « Je pense que si ça se passait maintenant et à mon âge, et que je tombais sur une bande de blancs et sur toute cette merde insensée qui se passait à l’époque, je serais parti en courant ».

En 1980 Trungpa était devenu de plus en plus fantasque, et Diana, bien qu’elle lui fut restée dévouée, prit un amant, Mitchell Levy, médecin personnel de Trungpa. La propre infidélité de Trungpa ne fut jamais en cause – depuis la puberté il avait toujours ouvertement fait preuve d’une grande liberté sexuelle. A la naissance d’Ashoka en 1981, sa peau blanche comme neige fit sensation dans la salle d’accouchement. Trungpa, fidèle à son credo de « folle sagesse », n’en fut pas perturbé. « J’étais son fils », dit Ashoka. « Le fait que je ne sois pas né de lui n’avait aucune importance, j’étais son fils ».

Ashoka fut reconnu comme tulkou à l’âge de 8 mois. Le précédent Karmapa appela Trungpa pour lui annoncer qu’il avait rêvé qu’Ashoka était la neuvième réincarnation de Khamnyon Rinpoché. Ils l’appelaient « le Yogi Fou du Kham », dit Ashoka en parlant de son prédécesseur spirituel. « Il avait un peu une réputation d’homme sauvage, et je ne pense pas lui être fidèle ».

Ashoka, qui vit à Londres avec sa petite amie, est à New York City pour une conférence des Nations Unies. Vêtu d’un costume gris à fines rayures en lieu et place de ses habituels jeans et t-shirt, il ressemble vaguement à un jeune Jeremy Piven. Il est intelligent et bien remonté, guidé par un idéalisme qui l’a conduit à travailler pour Human Right Watch (Observatoire des droits de l’homme), organisme à but non lucratif, pendant trois ans quand il a quitté la fac, et plus récemment à rejoindre « The London School of Economics », où il a obtenu sa maîtrise en développement international. A l’automne il va rejoindre une organisation à but non lucratif qui travaille sur les droits fonciers au Liberia. « En réalité c’est plus cool que ce que pensent les gens », dit-il.

Après la mort de Trungpa en 1987 à l’âge de 48 ans, conséquence de l’alcoolisme qui avait accompagné sans relâche son mode de vie débridé, Levy et Diana se marièrent et emmenèrent Ashoka à Providence, où leur vie de famille se rapprocha de la norme américaine. Mais Ashoka avait toujours su qu’il était promis à un destin particulier en tant que chef spirituel, ce qui était excitant, comme un super pouvoir secret, mais lui donnait aussi l’impression d’être anormal. Il se souvient du moment où ses parents lui proposèrent d’emmener à son entraînement de basket deux moines tibétains venus de leur monastère en Inde pour leur rendre visite. « Je leur ai dit « Vous ne vous rendez vraiment pas compte à quel point c’est incompatible avec l’image que j’ai de moi, là tout de suite », dit Ashoka. « Quand on a 15 ans on ne peut pas dire, « mec, je suis la réincarnation d’un maître spirituel venu des montagnes du Tibet, et mon père était ce coureur de jupons alcoolique, génie de la folle sagesse tibétaine », sans que les gens pensent qu’on est zarbi de chez zarbi. Maintenant c’est juste chiant ».

Le problème d’identité d’Ashoka devint poignant lors d’un voyage familial au Tibet quand il eut 22 ans. « Mon titre et mon rôle sont vraiment significatifs pour les gens », dit-il. « Des vieilles dames et des enfants s’approchaient de moi en pleurant. Des paysans dépourvus de tout m’offraient leurs économies d’une vie. Bon sang,quelqu’un a approché un bébé malade de mon visage et m’a demandé de lui souffler dessus. Je l’ai fait. Je ne peux pas être le genre de mec qui dit, « Tout ceci n’a aucun sens pour moi, désolé ! » Parfois j’ai vraiment le sentiment que je n’ai jamais décidé de prendre ce titre, mais maintenant j’ai l’impression qu’on m’a donné la possibilité de l’abandonner. »

Ashoka est en route pour une cérémonie de commémoration du 25eme anniversaire de la mort de Trungpa au Centre de Méditation de Shambhala dans le quartier de Chelsea à Manhattan – un des 165 centres qui, comme ses douzaines de best-sellers, maintient l’héritage de Trungpa. Nous arrivons tard dans la salle aux tentures bordeaux et safran, bondée de New-yorkais de 20 à 30 ans. Après avoir passé environ une heure assis par terre sur des coussins, à méditer et à chanter, des bénévoles font passer des assiettes de souper communautaire et des tasses de saké, la boisson favorite de Trungpa.

Ashoka participe, mangeant et buvant joyeusement. Mais s’aventurer au-delà de ces rituels pour vivre et enseigner comme un lama tulkou ne lui arrivera pas dans cette vie. « Pour moi, cela n’a pas de sens de s’aventurer trop loin dans les méandres de la culture tibétaine », dit-il. Non pas qu’il ait ressenti une quelconque pression de la part de l’establishment bouddhiste tibétain. « Il leur est facile de me condamner. Je suis le mec blanc. »

Article de Joseph Hooper, « Partis de leur OM, les lamas perdus du bouddhisme »

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