Quand
votre père est un juif New New-yorkais, votre mère une aristocrate
anglaise, et votre nom Ashoka Mukpo, vous passez beaucoup de temps à
répondre à des questions sur votre identité. « Quand je rencontre
quelqu’un, ça se produit dans les 20 secondes, je dois expliquer
toute ma vie », dit Ashoka, 31 ans. « En général je dis juste, «
Oh, mes parents étaient des hippies ». Si je suis dans une
situation plus formelle, je dit « Oh, mon beau-père était tibétain
». Et s’il parle à quelqu’un qui connaît quelque peu
l’histoire de l’arrivée du Bouddhisme tibétain en Occident, il
dit la vérité. « Je dis alors, « mon père est Chogyam Trungpa »,
et Dieu sait quel genre conversation absurde va suivre ».
La
mère d’Ashoka, Diana, a épousé Trungpa à l’âge de 16 ans, et
elle a pris son nom tibétain, Mukpo. Elle était à ses côtés dans
les années 70, pendant qu’il construisait un empire dérivé du
mouvement hippie à Boulder, Colorado, et obtenait une renommée
culturelle encore plus grande, en tant que gourou d’Allen Ginsberg
et de Joni Mitchell. Contrairement au Dalaï-lama, qui s’en tient
aux fondamentaux du Bouddhisme – en minimisant les souffrances de
la vie - Trungpa a initié ses étudiants à l’aspect tantrique de
la tradition : l’effort pour libérer les énergies de la vie
quotidienne afin d’avancer plus vite sur le chemin de l’éveil.
Sa communauté, finalement appelée Shambhala, était connue pour ses
fêtes alimentées par l’alcool et le sexe, dont on disait pour les
justifier qu’il s’agissait d’exercices tantriques –
transformant le poison de l’alcool ou libérant chacun de
l’attachement à l’amour romantique conventionnel. « Je ne sais
pas, mec », dit Ashoka. « Je pense que si ça se passait maintenant
et à mon âge, et que je tombais sur une bande de blancs et sur
toute cette merde insensée qui se passait à l’époque, je serais
parti en courant ».
En
1980 Trungpa était devenu de plus en plus fantasque, et Diana, bien
qu’elle lui fut restée dévouée, prit un amant, Mitchell Levy,
médecin personnel de Trungpa. La propre infidélité de Trungpa ne
fut jamais en cause – depuis la puberté il avait toujours
ouvertement fait preuve d’une grande liberté sexuelle. A la
naissance d’Ashoka en 1981, sa peau blanche comme neige fit
sensation dans la salle d’accouchement. Trungpa, fidèle à son
credo de « folle sagesse », n’en fut pas perturbé. « J’étais
son fils », dit Ashoka. « Le fait que je ne sois pas né de lui
n’avait aucune importance, j’étais son fils ».
Ashoka
fut reconnu comme tulkou à l’âge de 8 mois. Le précédent
Karmapa appela Trungpa pour lui annoncer qu’il avait rêvé
qu’Ashoka était la neuvième réincarnation de Khamnyon Rinpoché.
Ils l’appelaient « le Yogi Fou du Kham », dit Ashoka en parlant
de son prédécesseur spirituel. « Il avait un peu une réputation
d’homme sauvage, et je ne pense pas lui être fidèle ».
Ashoka,
qui vit à Londres avec sa petite amie, est à New York City pour une
conférence des Nations Unies. Vêtu d’un costume gris à fines
rayures en lieu et place de ses habituels jeans et t-shirt, il
ressemble vaguement à un jeune Jeremy Piven. Il est intelligent et
bien remonté, guidé par un idéalisme qui l’a conduit à
travailler pour Human Right Watch
(Observatoire
des droits de l’homme), organisme à but non
lucratif, pendant trois ans quand il a quitté la fac, et plus
récemment à rejoindre « The London School of Economics », où il
a obtenu sa maîtrise en développement international. A l’automne
il va rejoindre une organisation à but non lucratif qui travaille
sur les droits fonciers au Liberia. « En réalité c’est plus cool
que ce que pensent les gens », dit-il.
Après
la mort de Trungpa en 1987 à l’âge de 48 ans, conséquence de
l’alcoolisme qui avait accompagné sans relâche son mode de vie
débridé, Levy et Diana se marièrent et emmenèrent Ashoka à
Providence, où leur vie de famille se rapprocha de la norme
américaine. Mais Ashoka avait toujours su qu’il était promis à
un destin particulier en tant que chef spirituel, ce qui était
excitant, comme un super pouvoir secret, mais lui donnait aussi
l’impression d’être anormal. Il se souvient du moment où ses
parents lui proposèrent d’emmener à son entraînement de basket
deux moines tibétains venus de leur monastère en Inde pour leur
rendre visite. « Je leur ai dit « Vous ne vous rendez vraiment pas
compte à quel point c’est incompatible avec l’image que j’ai
de moi, là tout de suite », dit Ashoka. « Quand on a 15 ans on ne
peut pas dire, « mec, je suis la réincarnation d’un maître
spirituel venu des montagnes du Tibet, et mon père était ce coureur
de jupons alcoolique, génie de la folle sagesse tibétaine », sans
que les gens pensent qu’on est zarbi de chez zarbi. Maintenant
c’est juste chiant ».
Le
problème d’identité d’Ashoka devint poignant lors d’un voyage
familial au Tibet quand il eut 22 ans. « Mon titre et mon rôle sont
vraiment significatifs pour les gens », dit-il. « Des vieilles
dames et des enfants s’approchaient de moi en pleurant. Des paysans
dépourvus de tout m’offraient leurs économies d’une vie. Bon
sang,quelqu’un a approché un bébé malade de mon visage et m’a
demandé de lui souffler dessus. Je l’ai fait. Je ne peux pas être
le genre de mec qui dit, « Tout ceci n’a aucun sens pour moi,
désolé ! » Parfois j’ai vraiment le sentiment que je n’ai
jamais décidé de prendre ce titre, mais maintenant j’ai
l’impression qu’on m’a donné la possibilité de l’abandonner.
»
Ashoka
est en route pour une cérémonie de commémoration du 25eme
anniversaire de la mort de Trungpa au Centre de
Méditation de Shambhala dans le quartier de Chelsea à Manhattan –
un des 165 centres qui, comme ses douzaines de best-sellers,
maintient l’héritage de Trungpa. Nous arrivons tard dans la salle
aux tentures bordeaux et safran, bondée de New-yorkais de 20 à 30
ans. Après avoir passé environ une heure assis par terre sur des
coussins, à méditer et à chanter, des bénévoles font passer des
assiettes de souper communautaire et des tasses de saké, la boisson
favorite de Trungpa.
Ashoka
participe, mangeant et buvant joyeusement. Mais s’aventurer au-delà
de ces rituels pour vivre et enseigner comme un lama tulkou ne lui
arrivera pas dans cette vie. « Pour moi, cela n’a pas de sens
de s’aventurer trop loin dans les méandres de la culture tibétaine
», dit-il. Non pas qu’il ait ressenti une quelconque pression
de la part de l’establishment bouddhiste tibétain. « Il leur
est facile de me condamner. Je suis le mec blanc. »
Article
de Joseph Hooper, « Partis de leur OM, les lamas perdus du
bouddhisme »
Lire
aussi :
Les
confessions de Kalou Rinpoché
Gomo
Tulku, le lama rappeur