Nirvana signifie extinction
ou plus exactement l'action d'un souffle qui passe sur une flamme et
l'éteint. Telle est la raison pour laquelle les premiers traducteurs
d'Occident ont conclu trop hâtivement au nihilisme du Bouddhisme.
Certes, le terme Nirvana
signifie extinction mais encore faut-il voir exactement ce qui
s'éteint ! Le Nirvana est l'extinction de la flamme du processus du
« moi » à laquelle nous avons fait allusion assez fréquemment.
C'est aussi la cessation de l'ignorance, ce maillon de base de la
chaîne des origines interdépendantes. (Pratityasamûtpada.)
« L'anéantissement du
désir, l'anéantissement de la haine, l'anéantissement de
l'égarement, voilà, ami, ce que l'on appelle le Nirvana », est-il
dit dans le Samyutta Nikaya.
Lorsque cessent les fausses
identifications engendrées par l'ignorance et les tensions
inhérentes à l'avidité de devenir, nous nous intégrons dans la
nature profonde des choses.
L'expérience du Nirvana ne
consacre pas la réalisation d'un désir subtil du « moi ». Son
accomplissement a pour conditions « sine qua non », l'élimination
de tout désir, de toute attente, de tout « a priori » mental, de
toute représentation imaginative.
Nirvâna n'est pas un état
surnaturel, surhumain. Il est la plénitude de l'humain. Nirvana est
l'état normal de l'esprit affranchi de tous ses conditionnements
égoïstes d'attachement, de convoitise, d'ambitions.
Dans cet état nous n'avons
pas atteint une réalité qui nous est extérieure, nous n'avons pas
acquis de nouveaux biens. Nous nous sommes simplement révélés à
nous-mêmes dans la plénitude de ce que nous sommes.
« Entre le Nirvâna et le
Samsara, il n'existe pas la moindre différence, nous dit
Chandrakirti. Il faut comprendre que rien n'est supprimé, rien n'est
vraiment anéanti dans le Nirvana. Le Nirvana consiste simplement
dans la suppression complète de toutes les constructions erronées
de notre imagination.»
Lorsque notre mental se
dépouille de ses fausses accumulations, il se transmue en une
intelligence pure n'ayant aucune commune mesure avec
l'intellectualité ordinaire. Lorsque notre cœur se libère des
attachements et des limitations de l'égoïsme et de
l'identification, seule subsiste la plus haute forme de l'amour. Mais
le Nirvana dépasse les distinctions de l'amour et d'intelligence.
Ces deux tendances, pour nous distinctes et séparées, s'intègrent
dans une seule et même apothéose, qui se renouvelle d'instant en
instant, de toute éternité. Telles sont les raisons pour lesquelles
nous considérons que le Nirvana n'apporte pas la déshumanisation de
l'humain mais consacre la plénitude de son accomplissement. Seul est
digne du nom d'homme, celui qui répond fidèlement aux exigences de
son essence la plus profonde et la plus réelle. « II n'y a
plus alors, à proprement parler, ni mémoires, ni pensée, ni
effort, mais un fonctionnement total, un mouvement intérieur simple
et indécomposable, un écoulement d'énergie qui s'effectue de
lui-même sans arrêt et sans obstacle. Il devient superflu de
rechercher ce qui, dans ce flot, d'où se détachent à chaque
instant des actions externes, appartient à l'émotion ou procède de
la pensée. » (R. Fouéré, De l'acte complet, ibid., p. 208)
Nirvana est l'état
d'innocence suprême, l'état sans ego. En Nirvana se révèle la
félicité existentielle du Dharmakaya ou « Corps de Vérité ».
Robert Linssen