"Que signifie réellement «
méditer » ? Méditer, ce n'est pas créer un état spécial, se
mettre en transe ou dans tout autre état artificiel. Ce n'est pas
davantage rechercher des sensations, avoir des visions ou voir des
formes ou des couleurs particulières. Méditer, c'est devenir
conscient que, depuis des temps sans origine, notre esprit est
prisonnier de l'attachement à ses perceptions, ce qui engendre
frustration et souffrance en imposant à l'esprit des limites
artificielles. Par la méditation nous apprenons à dégager l'esprit
de ces limitations."
Lama Guendune Rinpoché (1918-1997)
LA
MORT SANS EFFETS SPECIAUX DU MAITRE
Pour
avoir rencontré nombre de maîtres asiatiques célèbres et leurs
disciples, je n’ai pas trouvé, en dix-huit ans d’exploration, de
« bouddha parfaitement illuminé ». Mais j’ai connu des personnes profondes,
mystérieuses et dignes, comme ce lama aujourd’hui défunt. Un
prêtre catholique qui l’avait connu me dit un jour en parlant de
lui que c’était un « homme mirobolant »...
Pour
avoir rencontré le « Très Précieux » (Guendune Rinpoché), trois
jours avant sa mort, face à face, tous deux seuls quelques instants
dans la pièce où il recevait ses visiteurs, j’ai mieux perçu le
sens ambigu de ce mot : « mirobolant ». Le vieux lama, âgé de
quatre-vingts ans, arrivait à la mort, seul et humain, peut-être au
fond comme les autres.
Il
fallut me rendre à cette évidence : ce moine sympathique et
remarquable était fort semblable, dans son frémissement de
désarroi, à ses frères humains lorsqu’il atteignait
progressivement le moment de la mort...
J’ai
alors rétrospectivement mieux compris qu’il avait aimé sa
vie, ses biscuits Delacre « cigarettes russes », sa soupe d’os à
la moelle que mitonnait son cuisinier personnel, et les dattes
fourrées élégamment offertes par une disciple. Pourquoi pas : il
aimait la vie...
Lorsque
je le vis ce mardi, juste après sa première attaque, hélas
décisive, je compris qu’il laissait son existence, après avoir
été jusqu’au bout et sans rendre les armes à la mort. Il ne
partait pas volontiers...
Je
songe parfois qu’il me montra plus précisément la réalité de
cette nature humaine, si fragile et si contradictoire. Mais, en
revanche, il dissipa, par son exemple, la théorie « mirobolante »
de la « bouddhéité ».
Si
la bouddhéité est un concept pour l’exégèse et la catéchèse,
un tel concept ne peut vraiment être un homme. Le détachement, le
renoncement ? Pas tout à fait, me montra le « Très Précieux
» en ces derniers instants : Plutôt la vie, aller jusqu’au
bout, mais y aller... dignement. Il avait encore, à trois
jours de sa mort, son attention profonde et bienveillante pour ses
visiteurs. Il me montra son souci de répondre ainsi à leurs
attentes, alors qu’il faisait déjà face à l’imminence de son
départ.
Délicat,
aimable et élégant, jusqu’au bout : le bilan de cette rencontre
de neuf années avec ce Tibétain vénérable est donc bon, car j’ai
abandonné, grâce à lui, le bouddha mythique des livres d’images.
Grâce
à lui j’ai pu revenir vers la vie réelle avec appréciation. A
l’issue de ce travail de recherche anthropologique, je n’ai pas
eu de regret à troquer la robe rouge du moine novice pour un
tee-shirt et un jean.
Il
n’y eut pas la moindre pluie de fleurs, ni d’arcs-en-ciel, le
jour de la crémation publique du vieux lama, sept semaines après le
trépas, mais un temps très gris qui s’éclaircit vaguement. Le
maître disparut sans corps d’arc-en-ciel, comme pour tout le
monde, selon le principe de réalité et non celui de plaisir.
Cependant, de son vivant, les disciples en retraite dans sa
proximité, furent assez nombreux à évoquer des expériences
spirituelles étonnantes, dignes des meilleurs « effets spéciaux ».
D’autres soulignèrent que son influence avait eu un pouvoir
transformateur sur leur vie, la rendant plus conforme à leurs
aspirations et peut-être à leur nature.
Les
« bouddhas vivants » sont rarement impassibles. Le surhomme doré,
éthéré, souriant en permanence, assis sans fin à savourer la
sagesse totale du cosmos est une statue ou une image, au mieux une
vision...
Sans
conflits, ni souffrances ? Cela existe sans doute dans les désirs
des disciples, et aujourd’hui dans ces quelques grands films
hollywoodiens où le maïs soufflé et l’esquimau géant sont
incontournables pour accompagner le suspense des spectateurs. Alors
le bouddha nimbé de surnaturels halos dorés vaincra-t-il l’armée
des démons au pied de l’arbre de l’illumination ? Comme
chacun le sait, la réalité quotidienne d’un humain est faite de
toutes sortes de détails réalistes qui rendent quelque peu
impraticable un tel « idéal » translucide et évanescent, en permanence...
L’homme avec son corps, ses désirs, ses relations affectives, ses
préférences est un défi à la sagesse, plus qu’une illustration
de celle-ci.
Marc
Bosche, « Le lama & l'anthropologue ».
Télécharger
gratuitement « Le lama & l'anthropologue » :