Le Vimalakîrtinirdesha sutra est un
important texte du bouddhisme Mahâyana qui connut une influence
particulièrement grande en Chine et au Japon. Il offre une
illustration de la philosophie bouddhique du salut et des
applications pratiques de la connaissance de la vacuité de
l'existence. Ce texte est particulièrement apprécié dans le zen.
« Si le Vimalakîrtinirdesha
Sutra eut un tel impact en Chine et s'intégra si étroitement au
patrimoine culturel chinois, c'est en grande partie parce qu'il
préconisait un Eveil compatible avec les difficultés du monde sans
passer par un statut de religieux. La Chine avait « une dent »
contre la sangha bouddhiste et contre l'état de moine qui lui
semblait contre nature. Si, dans le fond, nous sommes tous moines (de
monos « être seul »), dans les formes, l'état laïque n'a jamais
été une entrave absolue. Prenez le banquier, chef de famille et
homme responsable, Vimalakîrti. Pour lui, la voie authentique
consistait à atteindre l'Eveil sans éliminer souillures,
corruptions et désirs (klesha). Dans les textes, Vimalakîrti est
qualifié d'avadâtâvâsana (porteur de l'habit blanc du
laïque) et en même temps de shramanâcaritasampanna
(observant la conduite d'un religieux). En chinois, ju shi
signifie maître de maison, gentilhomme retiré, équivalent
d'upâsaka pour disciple laïque bouddhiste. Vimalakirti était
donc capable de répondre aux sollicitations de la vie sans se
laisser perturber. Il résolvait par sa vie même et son enseignement
le dilemme entre dong et jing, c'est-à-dire entre
activisme et quiétisme. C'est une des raisons essentielles qui fit
que son message eut une telle répercussion dans l'empire du Milieu.
Une ou deux anecdotes sur Vimalakirti :
Comme l'on sait, par artifice
salvifique, Vimalakîrti se déclara un jour malade. Le Bouddha fit
envoyer les uns après les autres ses meilleurs disciples pour
prendre des nouvelles mais chacun refusa, prétextant qu'il n'était
pas capable d'aller interroger ce saint homme. Seul Mañjushri s'y
décida. Vimalakîrti, peu avant cette visite, vida sa maison,
expulsa les lits, les meubles, les domestiques et le portier. Il ne
laissa qu'un lit. Interrogé, il dévoila alors à son visiteur que «
la maladie c'est la Vacuité », « le fondement de la maladie est la
saisie de l'objet ». « Mañjushri, la maladie des êtres, voilà
précisément l'élément qui me rend malade de moi-même ! » A la
question : « Comment détruire cette maladie ? », il répondit : «
En détruisant la croyance au moi et la croyance au mien. »
Lorsque le bodhisattva
Sarvarûpasamdarshana demanda à Vimalakîrti qui était son père,
sa mère, son épouse, ses fils, ses filles... il rétorqua qu'ils
étaient, upâyakaushalya (habileté en moyens de libération),
prañapâramitâ (perfection de sagesse), dharmapramudita
(la joie de la loi), dharma et satya (loi et vérité),
maitri et karuna (bienveillance et compassion)... Voilà
encore quelques affirmations qui rappellent les assertions chan —
on pense aux dits de Lin Ji — et en effet, le chan est un des
dignes successeurs de l'esprit de Vimalakîrti. Ce stratagème, cette
façon de surprendre, on les retrouve chez Zhuang Zi (Tchouang-tseu).
Ce dernier raconte une histoire où un visiteur, après sept jours et
sept nuits de marche, se présente chez Lao Tan (Lao Zi) pour quérir
un enseignement. Celui-ci sans désemparer lui demande pourquoi il a
amené avec lui une caravane (de choses et de gens) aussi
considérable. Le visiteur, étant venu sans rien, hésite, jusqu'à
en oublier même les motifs de sa venue.., puis finit par comprendre.
Lao Zi put alors lui transmettre son enseignement.
Il existe une théorie tibétaine,
provenant de l'ouvrage Samdan migdron rédigé par le maître
Nubqen Sangyas Yexes, qui différencie les lignages bouddhiques en
trois catégories : ceux du renoncement, de la transformation et de
l'autolibération. La première concernerait les lignages «
sûtriques » (theravâda, mahâyâna), la seconde les lignages
tantriques, la troisième le dzogchen.
Cette classification correspond bien à
une réalité car il y a effectivement une différence dans les
approches et méthodes de ces voies. Nous pensons pourtant que
chacune d'entre elles possède sa propre quintessence : ainsi le chan
pour les voies sûtriques et l'anu-yoga pour les voies
tantriques, le dzogchen
ou anu-yoga étant à lui-même son propre achèvement.
Si nous insistons sur ce sujet, c'est
parce que le chan se trouve confiné, injustement à notre avis, dans
la première catégorie. Le chan, confluence de taoïsme et de
bouddhisme, ne s'arrête ni à la vacuité, ni au non-désir,
certainement pas à la renonciation ni même à la compassion, encore
moins à l'éradication d'un ego inexistant ou à la non-pensée. L'«
homme sans affaires » de Yi Xuan, l'« humain véritable » de
Zhuang Zi, l'« homme ordinaire » du Tao et du chan, n'est pas plus
moine que laïque, ne renonce à rien, ne transforme ou ne fuit rien,
il entre en coïncidence. »
Yen Chan