Monsieur Ma Zu (709-788) disait :
« Depuis des temps immémoriaux,
les illusions humaines issues de l'orgueil, de la duperie, de la
sournoiserie, de la prétention, se sont agglomérées en une forme
corporelle. C'est pourquoi, disent les Écritures, ce corps n'est
qu'un ensemble d'éléments dont l'apparition et la disparition ne
sont rien d'autre que l'apparition et la disparition de ces éléments
sans identité. [...]
Illusion signifie que l'on a réalisé
sa propre essence fondamentale. Une fois illuminé, on ne retombe
plus dans l'illusion. Si l'on comprend l'esprit et si l'on comprend
les phénomènes, les fausses conceptions cessent d'apparaître.
Quand les fausses conceptions ont cessé d'apparaître, on reconnaît
le commencement sans commencement des phénomènes. On l'a toujours
eu en soi, on l'a maintenant. Pour cela, point n'est besoin de
cultiver la Voie ou de s'asseoir en méditation. »
Pour Monsieur Fen Yang (947-1024) :
« C'est par vous-même que vous
devez distinguer entre ce qui est sacré et ce qui est ordinaire,
entre ce qui est mal et ce qui est bien. Ne vous préoccupez pas des
jugements des autres. Combien sont-ils ceux qui ont trouvé le moyen
de découvrir chaque subtilité ? En général, tous suivent leurs
sens matériels courant partout comme des idiots.
Quand cesserez-vous d'être en
compétition ? Avant que vous ayez pu vous en rendre compte, la scène
a déjà changé. On est passé du printemps à l'automne. Les
feuilles tombent, les oiseaux migrent, la gelée durcit. Vêtu et
chaussé, que chercher de plus ?
Si vous connaissez l'esprit, l'esprit
est Bouddha. Si vous ne le connaissez pas, c'est le démon. Le démon
et le Bouddha sont les produits d'un seul et même esprit. Le Bouddha
est réel, le démon est folie.
Peu de gens croient avec sincérité
que leur propre esprit est Bouddha. La plupart ne prennent pas cela
au sérieux et en conséquence, ils sont étriqués. Ils sont
enveloppés d'illusions, de convoitises, de ressentiments et d'autres
afflictions, tout ça parce qu'ils aiment par-dessus tout la caverne
de leur ignorance. »
Monsieur Foyan (1067-1120) ajoutait :
« Je conseille d'apprendre à se
connaître soi-même. Certains pourront penser que c'est un conseil
destiné aux débutants et que c'est facile. Réfléchissez plus
soigneusement et de manière pondérée, qu'est-ce, ce que l'on
appelle soi-même ?
« Le bouddhisme est un
enseignement facile à comprendre et qui permet d'accroître son
énergie, mais les gens eux-mêmes créent leurs propres souffrances.
Pour les aider, les anciens conseillaient de méditer tranquillement.
C'était un bon conseil. Plus tard, ce conseil fut mal compris : les
gens fermaient les yeux, comprimaient leur esprit et leur corps et
s'asseyaient comme des ballots en attendant l'illumination. Quelle
stupidité ! »
Il y a mille ans, Monsieur Da Hui (1089-1163) dénonçait
le déclin du bouddhisme et de la société :
« En ces temps "modernes",
Zen et bouddhisme connaissent une grave dégénérescence. Il existe
des maîtres incompétents chez qui est fondamentalement absente
l'illumination, dont la conscience est chaotique et sur qui on ne
peut compter. Manquant de capacités, ils apprennent à leurs
étudiants à devenir comme eux.
Les gens sont arriérés : ignorants du
vrai soi, ils courent après des biens, souffrant volontairement
d'immenses douleurs pour satisfaire leurs désirs d'un peu de
plaisir.
Le matin, avant même d'ouvrir les yeux
et de sortir du lit, à demi réveillés, leurs esprits virevoltent
déjà dans la confusion, suivant le cours de pensées hasardeuses.
Les actes, bons ou mauvais, n'ont pas encore fait leur apparition,
mais, avant qu'ils soient sortis du lit, dans leur cœur, ils ont
déjà donné forme au paradis et à l'enfer. Et, au moment d'agir,
les graines d'enfer et de paradis sont déjà plantées dans leurs
esprits.
Le Bouddha ne disait-il pas : « Toutes
les facultés des sens sont des réceptacles rendus manifestes par
votre propre esprit. Les corps physiques sont des manifestations de
représentations de votre propre esprit telles que subjectivement
vous les avez imaginées. Ces manifestations sont comparables au
courant d'une rivière, à des graines, à une lampe, au vent,
disparaissant instant après instant. L'activité frénétique,
l'attraction pour des choses impures et la voracité, sont les causes
d'habitudes inutiles, décevantes qui semblent avoir toujours existé,
semblables à la roue d'un moulin qui tourne sans arrêt. »
Si vous pénétrez réellement cette
vision des choses, vous comprenez le sens d'impersonnalité. Vous
savez que le paradis et l'enfer ne sont nulle part ailleurs que dans
le cœur d'un individu à demi réveillé et prêt à sortir du lit,
ils ne viennent pas de l'extérieur.
Pendant la période où vous êtes
réveillé, faites attention. Tout en faisant attention, ne faites
aucun effort pour combattre ce qui vient à votre esprit car en
combattant, vous gaspillez de l'énergie. Le Troisième Patriarche
disait : « Si vous essayez d'arrêter un mouvement pour lui faire
retrouver l'immobilité, votre effort va augmenter le mouvement. »
Quand, au centre des tensions de la vie
mondaine et des affaires quotidiennes, vous êtes capable
d'économiser de l'énergie, c'est là que vous en gagnez, c'est là
que vous atteignez la bouddhéité, c'est là que vous transformez
l'enfer en paradis. »
Textes traduits par Thomas Cleary