Quelques
années avant son décès (2008), Marc Bosche a écrit :
« J'ai
passé le réveillon avec des amis, trois couples ayant chacun vingt
à vingt-cinq années de pratique du bouddhisme. [...]
En
échangeant avec eux j'ai évoqué les limites que je voyais au
message même du bouddhisme : 1) la vérité de la souffrance, 2) le
karma, 3) le nirvana et 4) les vies successives. Voici les quatre
objections que j’ai soulevées, et un peu plus loin la réaction
intéressante de ces amis..
1) La vie en tant qu’opportunité
1) La vie en tant qu’opportunité
En
un mot la vérité de la souffrance n'est peut-être pas correctement
formulée dans le bouddhisme, puisque en réalité la vie si elle est
souffrance, certes, est surtout opportunité d'une expérience
consciente unique. Sans la vie nous ne serions sans doute pas, et
donc vivre n'est pas une maladie ni une fatalité douloureuse, mais
plutôt un tremplin précieux et un cadeau inestimable.
2) Le karma a bon dos
2) Le karma a bon dos
Quant
au karma, le bouddhisme nous dit que les souffrances d'aujourd'hui
résultent d'actes non vertueux d'hier et que les bonheurs
d'aujourd'hui résultent d'actes vertueux accomplis par le passé.
Or, nous le voyons bien, beaucoup d'innocents souffrent (les victimes
du Tsunami par exemple), d'enfants innocents meurent. Nous ne pouvons
pas moralement affirmer que c'est à cause d'actes négatifs
antérieurs, ce serait victimiser deux fois ces personnes, leur faire
porter une deuxième fois le poids de destinées que rien ne peut
justifier.
En revanche des dictateurs coulent de vieux jours paisibles. Des tortionnaires ou des aigrefins passent de paisibles retraites semblant ne pas souffrir particulièrement de cette fameuse "loi du karma". Mr Papon libéré de prison pour raison de santé, coule des jours heureux. Mr Crozemarie bénéficie paraît-il d'un jacuzzi dans sa confortable maison de retraite. Mr Pinochet n’a qu’assez récemment été inquiété par la justice de son pays. Mr Saddam Hussein est toujours vivant à l'heure de son procès (au 28 mars 2006 date à laquelle nous bouclons l’édition de ce livre), alors que de nombreux Irakiens innocents, des femmes, des enfants, des jeunes gens sont morts. La loi du karma du bouddhisme paraît un vœux pieux plus qu'une réalité.
L’idée de maturation des graines karmiques est nécessaire pour rendre plausible la théorie du karma, mais cela fonctionne-t-il vraiment comme cela ? La durée de la vie humaine permet-elle cette "maturation" ? Probablement non, et alors il faut absolument croire à cette idée de vies successives pour que la rétribution karmique ait la moindre chance de se produire et donc d'exister. Or rien n'est moins sûr que ces chapelets de vies successives pour vous et moi. Il y a donc au moins deux hypothèses, pour le moins hasardeuses, indispensables ici pour fonder cette théorie du karma.
3) La promesse vague, plurielle et contradictoire du nirvana
Quant
au nirvana, qui peut vraiment compter dessus, en faire le projet de
sa vie ? Honnêtement ?
Et puis, ce serait intéressant de découvrir aussi si l'union "vacuité-félicité" qui est pour les tantrikas du vajrayana le coeur de l'éveil spirituel correspond au nirvana de leurs amis Theravadin...
Chez les kagyu où l'influence Dzogchen et plus généralement Nyingma est présente (la lignée kagyu emprunte beaucoup aux enseignements et aux maîtres nyingma) le nirvana est un peu réservé... aux maîtres, aux détenteurs de lignée. Pour les disciples, il s'agit plutôt, de vie humaine en vie humaine, de réaliser progressivement des terres pures au moment de chaque mort successive et d'avancer ainsi de la première vers la dixième terre pure (ou treizième selon les systèmes), vers la libération du cycle des renaissances. Je crois que c'est à ce point qu'on peut alors parler de nirvana selon ce système tantrique.
Il y a aussi les cas de ces yogis qui réalisent le corps d'arc-en-ciel au moment de leur mort, il s'agit d'une manière de libération également, mais je ne peux dire si selon ce modèle de l'illumination c'est l'ultime et définitif, c'est à dire le nirvana. Comme ces atteintes successives (des terres pures, ou même du corps d'arc-en-ciel) correspondent de toute évidence à un raffinement de plus en plus grand de la conscience : "Dans le dzogchen tibétain, la nirvana est également assimilé à la conscience fondamentale, qualifiée de grande perfection naturelle. Il faut reconnaître la nature de l’esprit, vide, lumineuse, sensible et au delà de la mort."Alors, un nirvana pour tous, ou divers nirvana promis selon les diverses écoles ? Les promesses engagent surtout ceux qui y croient. Un maître Soto Zen (Kodo Sawaki, le maître de Taisen Deshimaru) disait quant à lui que le nirvana c'était "l'endommagement ultime"... Que voulait-il dire par là ? Et puis il y a les NDE, les near death experiences, ces expériences au seuil de la mort que racontent nos contemporains qui les ont vécues, en particulier en Occident. Sont-elles une expression de ce "nirvana", de cet éveil spirituel ? Est-ce le même éveil que chez les bouddhistes, est-ce encore une autre forme de conscience ou d'expérience ?
4) La fiction possible des vies successives
Pour
ce qui est des vies successives, rien ne montre que cela se passe
comme le dit le bouddhisme, c'est à dire qu'un courant de conscience
se réincarne (ou passe) encore et encore dans différents plans
possibles d'existence, nous donnant au passage ici et maintenant
cette vie humaine.
D'autres possibilités sont tout aussi crédibles : dispersion ou cessation de la conscience fondamentale au moment de mort, réintégration ou réabsorption de celle-ci dans une autre dimension ou une autre réalité spirituelle, combinaison de facteurs dynamiques de la conscience appartenant à plusieurs êtres pour composer la conscience d'un nouveau-né. Etc. etc. Bref la théorie des vies successives est aussi un conte simple et séduisant, mais ne présente aucune présomption de sa réalité.
Après
avoir présenté mes modestes élucubrations, l'une des personnes
présentes au réveillon m'a dit : "je pense comme vous, je suis
d'accord." Je lui ai fait remarqué : "Alors vous n'êtes
pas bouddhiste". Elle m'a répondu avec un sourire : "je me
présente comme bouddhiste, mais je ne crois pas, en effet, à cela."
Un autre participant à la soirée a ajouté, en substance : "oui,
il faut toujours dire qu'on est bouddhiste aux autres qui le sont,
pour ne pas créer de difficultés ou de problèmes avec eux, mais
c'est vrai on ne croît pas vraiment à ces choses". J'ai donc
réalisé que ces amis qui ont vingt à vingt cinq ans de dharma, qui
sont pour la plupart végétariens et ont adopté une hygiène de vie
et une éthique très attentive, qui pratiquent la méditation au
quotidien, ne croient pas un mot du dogme fondamental qui définit le
bouddhisme. Mais ils se disent toujours "bouddhistes". »
Marc
Bosche, Neo
bouddhisme, quand le Bouddha ne sourit plus.