Tuesday, February 13, 2007

MISOGYNIE BOUDDHIQUE
Le corps féminin hante le monde onirique des jeunes novices. Alors, les maîtres bouddhistes martèlent le dogme : La femme est impure. Son corps comprend cinq impuretés et a par conséquent cinq obstacles de plus que l’homme pour atteindre l’éveil. " Elle ne peut être ni reine du ciel de Brahma, ni Indra, ni Mâra, ni Cakravartin, ni Bouddha ", proclame le Sutra du Lotus.
Nagarjuna, si brillant par ailleurs, ne peut s’empêcher de dérailler sur ce sujet. Dans la " Précieuse Guirlande des avis au roi ", le grand philosophe de la vacuité, écrit :
L'attirance pour une femme vient surtout
De la pensée que son corps est pur
Mais il n'y a rien de pur
Dans le corps d'une femme
De même qu'un vase décoré rempli d'ordures
Peut plaire aux idiots
De même l'ignorant, l'insensé
Et le mondain désirent les femmes
La cité abjecte du corps
Avec ses trous excrétant les éléments,
Est appelée par les stupides
Un objet de plaisir".

L’Eveillé, alias le Bouddha, ne dormait plus. Les femmes étaient-elles son cauchemar ? Il faut dire que le saint homme était un sacré misogyne :
" La femme est plus secrète que le chemin où, dans l’eau, passe le poisson. Elle est féroce comme le brigand, et comme lui rusée. Il est rare qu’elle dise la vérité : pour elle la vérité est pareille au mensonge et le mensonge pareil à la vérité. Souvent, à un disciple, j’ai conseillé d’éviter les femmes. "
Pressé par Ananda, L'Eveillé accepta finalement les femmes dans son ordre monastique. Mais l’omniscient patriarche du bouddhisme prédit la disparition de la communauté bouddhique après seulement 5 siècles. "L'admission des femmes sera funeste !"
Le don de prophétie n’était pas le point fort de l’Eveillé. Le bouddhisme fête ses 25 siècles d'existence. Les nonnes bouddhistes se demandent en souriant si le Bouddha, lui qui s’était trompé sur la fin de la communauté, ne s’était pas aussi trompé sur la nature féminine.

En réalité, un Eveillé ne peut pas être misogyne. Par contre, les bricoleurs de religions, redoutant d’être supplantés par les femmes dans un domaine où elles excellent, codifièrent la discrimination sexuelle.

Saturday, February 10, 2007

MY LAMA IS RICH… VERY RICH INDEED !

Pierre SOGOL

« Je suppose qu’un moine est toujours charitable.»
( La Fontaine, Fables, Livre VII )



En 1534, l’Eglise anglaise consomme définitivement sa rupture avec Rome par l’Acte de suprématie ( Henri VIII ) ; près de quatre cent cinquante ans plus tard, en 1982/83, le Centre Mandjouchri installé en… Angleterre, se sépare de la Fondation pour la Préservation de la Tradition du Mahayana ( FPMT ), placée sous l’autorité du Dalaï-Lama, ce pape du bouddhisme, pour fonder sa propre branche : la Nouvelle Tradition Katampa ( on goûtera, au passage, l’audacieuse modernité de l’oxymore constitué par l’alliance des mots « nouvelle » et « tradition » ! ). Si le rapprochement entre les deux événements que nous venons de citer peut, lui aussi, paraître aventureux, d’après nous, il s’impose du fait de leur enracinement commun dans la même… tradition socioculturelle : en effet, ce refus quasi-viscéral de toute autorité extérieure caractérise profondément la mentalité insulaire propre à la perfide Albion ; l’histoire récente de la construction européenne en fournirait, si besoin était, de multiples exemples… Cette soif d’indépendance – défiance vis-à-vis de l’étranger ? - a d’ailleurs, au XIXème siècle, été fièrement revendiquée en tant que doctrine, sous le nom de « splendide isolement ».

Ainsi, après la diaspora tibétaine provoquée par la rébellion antichinoise de 1959, de nombreux centres d’étude et de pratique du bouddhisme tibétain se sont ouverts un peu partout en Occident, sur le « Continent » et ailleurs ; eh bien, le seul à faire sécession, même si depuis il a, lui-même essaimé un peu partout dans le monde, est « the Manjushri Institute in Cumbria ( NW England ) », la NKT coupant définitivement les ponts avec la FPMT, « by appointment of Her Majesty the Queen » ?

Cette défection est d’autant plus discourtoise que c’est à l’initiative du lama-directeur de la Fondation que Gueshé Kelsang Cegyatso avait été invité à séjourner au Royaume Uni en qualité d’enseignant-résident, en 1977. Comment expliquer qu’un moine pleinement ordonné ait si prestement brisé un de ses vœux les plus élémentaires, mais d’autant plus prégnant : ne pas provoquer de schisme à l’intérieur de la Sangha ? Cette insoumission à l’ordre ecclésiastique est inconcevable en tant qu’acte isolé. Bien plutôt, c’est ce que nous voudrions montrer, le saint homme a été habilement manipulé, instrumentalisé par un entourage rompu aux techniques de la communication qui n’aura donc mis qu’un peu plus de cinq ans à comprendre l’intérêt commercial que l’on pouvait tirer à reprendre la boutique à son compte. Cela soit dit sans aucun procès d’intention. Il a été suffisamment question de la dynamique du libéralisme économique, en particulier auprès des irréductibles Gaulois, à l’occasion du référendum sur le projet de Constitution européenne, en mai 2005, pour qu’il soit inutile de revenir sur cette autre composante inhérente à la pensée anglo-saxonne, encore une fois, tout jugement de valeur mis à part. Mais on a entendu circuler tant de sornettes…

Pour expliquer cette dissidence, certains ont invoqué la pratique de je ne sais quelle divinité démoniaque d’un autre âge, assoiffée de sang comme il se doit : de toute façon l’équipe managériale aurait toujours trouvé une pomme de discorde pour justifier sa volonté de rupture. D’autres ont évoqué un financement occulte du gouvernement chinois pour nuire à la cause tibétaine en ajoutant la division à l’exil… En tout cas aujourd’hui, croyez-moi, la Tradition se suffit largement à elle-même et le bizness tourne à plein rendement, sans nécessiter d’aides extérieures.

D’ailleurs, chez nos voisins d’outre-Manche ou d’outre-Atlantique, l’argent est encore plus inodore et, par exemple, très tôt dans les établissements scolaires, les kermesses sont des machines à récolter des fonds, quelle qu’en soit la finalité, avec des techniques éprouvées et une impudence qui, là-bas, ne choque personne. Que l’on songe avec quel enthousiasme et quel professionnalisme les mères de famille de nos séries télévisées américaines s’acquittent de ces activités bénévoles, en confectionnant les pâtisseries pour les stands qu’elles animeront elles-mêmes. Pour ceux qui ne l’auraient pas encore compris, c’est la thèse que nous voudrions défendre dans les lignes qui vont suivre : la NKT – savoir si elle est une association philanthropique serait un autre débat – propose à ses clients un bouddhisme ni tibétain, ni chinois, mais un bouddhisme à la sauce britannique, à la crème anglaise.



« Il faut faire attention aux apparences. Les fanatiques sont des gens sereins.
Ils font preuve d’une douceur inébranlable puisqu’il ne leur arrive jamais rien. »
Alain Finkielkraut au « Journal du Dimanche » ( 15/10/2006 )



En France, le goût « so typically British » de ce produit d’importation est d’autant plus marqué que la directrice spirituelle (sic) de l’organisation, pour l’Hexagone, est elle-même sujet de sa gracieuse Majesté ; appelons-la Gwyn Mollah puisque, de manière tout à fait anachronique par rapport à la modernité qu’il prétend incarner, le clergé « traditionaliste » continue à s’affubler d’un patronyme d’origine tibétaine et à s’envelopper dans la robe couleur rouge et or. Gwyn Mollah, donc, est un petit bout de femme sec et autoritaire, une dame de fer délégant très peu d’un pouvoir qui lui vient de « plus de vingt ans » de fidélité au Vénérable réfugié. Cette ancienneté, soit dit en passant, ne devrait plus impressionner personne depuis longtemps car, dans le domaine spirituel, comme le rappelle si bien Jésus dans la parabole des « Ouvriers de la onzième heure » ( Mathieu, XX, 1 à 16 ), le temps ne fait rien à l’affaire : la vie dissolue qui précéda leur conversion n’empêcha nullement Milarépa ou le père de Foucauld d’être transporté au pinacle de la béatitude mystique. Par contre, l’intransigeance dogmatique de notre nonne d’origine anglaise a valu à la branche française de la NKT d’être considérée, dès son introduction, comme un mouvement intégriste, voire sectaire. En particulier, les libraires spécialisés n’appréciaient pas l’insistance avec laquelle la moudjahidine entendait apposer elle-même sur leur vitrine les affichettes annonçant les conférences dont, en un premier temps, elle a littéralement inondé le pays. A sa décharge, pas facile de s’imposer, il faut le reconnaître, quand les sympathisants d’une autre école, sise en Bourgogne et en Dordogne à ses débuts, ont déjà de longue date occupé le terrain, disposant même d’antennes dans la plupart des grandes villes.

Mais il faut croire que le marché n’était pas saturé et notre Jane Birkin au sourire incisif, oeuvrant d’arrache-pied, a tôt fait d’établir son propre réseau et de recruter un nombre exponentiel de fidèles. A se demander d’ailleurs, en voyant le zèle de ces VRP, moines dont chacun est responsable d’un vaste secteur du territoire, s’ils ne sont pas tenus à une obligation de résultats, tandis que Gwyn Mollah continue à prospecter, parcourant l’arc méditerranéen, de Nice à Perpignan, car elle ne s’est pas octroyé la pire de nos régions et, l’été dernier, il fallait, paraît-il, la voir, bondissant tel un cabri de rocher en rocher sur les pentes du Canigou où elle guidait une retraite, chaussée de sa paire de baskets fétiches, ornée de l’Union Jack, seul signe ostensible d’appartenance qu’elle s’autorise, en dehors, bien évidemment, de sa bure de moniale au crâne rasé
.
D’ailleurs le terme ( du grec « monos » = seul ) semble inapproprié tant le moine de la NKT vit dans un siècle dont, interprétant l’idéal du bodhisattva au pied de la lettre, il se croit investi de la mission divine de sauver par la conversion à sa foi, avec un acharnement et l’efficacité d’une démonstratrice de chez Tupperware que l’on croyait avoir égarés en Afrique, depuis la disparition des derniers Pères Blancs, toujours par monts et par vaux. Pourtant, Jean-Jacques Rousseau avait déjà pressenti les limites d’un tel prosélytisme : « Le sentiment de l'existence dépouillé de toute autre affection est par lui-même un sentiment précieux de contentement et de paix, qui suffirait seul pour rendre cette existence chère et douce à qui saurait écarter de soi toutes les impressions sensuelles et terrestres qui viennent sans cesse nous en distraire et en troubler ici-bas la douceur. Mais la plupart des hommes, agités de passions continuelles, connaissent peu cet état, et ne l'ayant goûté qu'imparfaitement durant peu d'instants n'en conservent qu'une idée obscure et confuse qui ne leur en fait pas sentir le charme. Il ne serait pas même bon, dans la présente constitution des choses, qu'avides de ces douces extases ils s'y dégoûtassent de la vie active dont leurs besoins toujours renaissants leur prescrivent le devoir. » ( lues dans une perspective bouddhique, Les rêveries du promeneur solitaire au bord du lac sont sans nul doute parmi les plus belles méditations jamais écrites ).

Mais c’est surtout à l’occasion du festival national annuel - « Célébration du Dharma en France » - que l’impérialisme culturel de Miss Gwyn manifeste le plus ouvertement. Tout y est scrupuleusement calqué sur le modèle de la logistique bien huilée des festivals qui se déroulent à la maison-mère, en Angleterre et, malgré un nombre de participants qui n’a rien de comparable, à peine inscrit, on a vite fait de se retrouver à faire la queue , un badge autour du cou, sans le moindre ménagement envers le génie propre à nos coutumes qui relèvent plutôt du bon vieux système D. L’argument économique ( par ici la monnaie ) l’emportant sur l’éthique ( un semblant d’ascétisme de bon aloi ), une cafétéria sans alcool est ouverte pendant les festivités : ce lieu de perdition toléré par la hiérarchie religieuse doit-il systématiquement être baptisé « World Peace Cafe », comme celui qui vient d’ouvrir à demeure à Paris, dans le vingtième arrondissement, ou serait-ce un blasphème que de l’appeler « Café de – la rue de – la Paix » ? Et les mots d’ordre pourraient-ils cesser un instant d’être naïvement empruntés à la langue de Shakespeare, sans le moindre souci de transposition : « Enfin vendredi ! » ; « Le Bouddhisme, un art de vivre. » ; « Trouvons le bonheur dans une source différente et devenons les amis du monde. » ?

En toute modestie, Gwyn Mollah dispense « un enseignement spirituel de haute qualité qui allie sagesse, clarté et humour » ; en toute innocence, un large sourire Gibbs affichant sur ses lèvres un succès insolent, d’une oreille à l’autre, le moine Tony Jean VI qui réside à Nantes, son épigone à n’en pas douter, propose « un enseignement de haute qualité qui allie sagesse, clarté et humour ». Ces tics de langage stéréotypés induisent un nivellement par le bas qui ne manque pas d’inquiéter et nuisent à l’image de marque d’une entreprise multinationale dédiée au bonheur de l’humanité, un « meilleur des mondes » à la Huxley, à moins que l’année de création ait constitué un hommage appuyé au roman de George Orwell. Gueshé Kelsang Gyatso se compare volontiers à un magnétophone et son enseignement à une bande magnétique, pourtant cela n’a rien de rassurant. Néanmoins, allez, appelons-la G.M., G.M. se dit de plus en plus satisfaite par les progrès réalisés par le français pour exprimer les subtilités des concepts bouddhiques, sans se rendre compte qu’ils sont parallèles à ceux qu’elle effectue dans l’apprentissage de notre langue ! C’est tout de même gonflé de sa part…

Il suffit, pour s’en convaincre, de parcourir ses traductions des œuvres du Maître – en saluant son mérite devant l’ampleur du travail accompli dans ce domaine également – même si, pour respecter ses vœux de chasteté, il fallait bien qu’elle occupe ses soirées d’une façon ou d’une autre. Au style littéral des ouvrages en question, pratiquement du mot à mot, on sent que, là non plus, notre mère abbesse n’a pas dû beaucoup accepter de se faire épauler. Ainsi, pour s’en tenir au texte des prières les plus en usage, notons ( « La prière des étapes de la voie. » ) que l’expression « au prix de ma vie » a été conservée telle quelle, alors qu’on dit plutôt « au péril de ma vie » ; que la formule « tu as donné un sens à ta liberté et à ta dotation » ( « Les prières en sept membres » (!) parties (?) ), pour rendre « endowment meaningful », ne veut pas dire grand-chose en français et qu’il faudrait lui préférer un équivalent du genre « tu as tiré le meilleur parti / le meilleur usage des qualités / des dons qui t’ont échu » ; il faut se méfier des faux-amis ( usual suspects ! ) comme fortune qui, en français moderne, a perdu son sens premier d’ heureux hasard ( chance ) pour ne pratiquement plus désigner que la richesse matérielle, ainsi ( dans « La prière de longue vie » ) tout le passage :
« … Pour révéler aux migrateurs comme nous, qui ont peu de fortune /
La voie de la libération des êtres fortunés, /
O quelle grande bonne fortune de t’avoir rencontré ! […]
En ces temps impurs, tu manifestes des formes /
Selon la fortune de chaque disciple… »,
à moins qu’il s’agisse d’un lapsus de taille, cela sonne par trop mercantile et je proposerais plutôt quelque chose du genre :
« Pour révéler aux infortunés que nous sommes
La Voie de la Libération menant chacun au Bonheur
O que nous sommes heureux d’avoir croisé ton chemin !
En notre époque de décadence, tu te manifestes sous une forme différente
Aux yeux de chaque disciple, en fonction de sa bonne étoile, etc., etc. »
Même si une étrangère peut à juste titre s’enorgueillir en public de l’aisance qu’elle a fini par acquérir en français et se montrer en exemple, lors des enseignements oraux, en dépit de ce que peut indiquer un dictionnaire usuel, pour donner l’image de l’illusion d’optique créée par le bleu du ciel, « dais » ou « ciel de lit » est plus évocateur que l’archaïque « baldaquin ». Parallèlement à la maîtrise de la langue de Voltaire, il conviendrait de développer comme un embryon d’esprit critique et d’autodérision, d’humour anglais en quelque sorte, tant il est vrai qu’il exerça une influence décisive sur le philosophe de Ferney dont le Candide est un cousin germain du Gulliver de Swift.

Cependant on entend dire aux témoins de ses premières campagnes que notre intrépide amazone de Shambhala a appris à mettre du beurre rance dans son « five’o clock tea », à composer et à jouer de ses charmes de walkyrie anorexique qui aurait eu Petula Clark comme institutrice ; dans la communauté des fidèles, certains mâles sont même séduits par cette dominatrice dont la féminité tyrannique et tranchante fait fantasmer plus d’un cénobite, tel le Norman Bates du film Psychose. N’en déplaise à un autre cinéaste, Woody Allen, les mères juives ne sont pas les seules à être autoritaires et possessives. Au printemps 2006, quand elle a organisé son premier festival international en France, elle n’a pas su résister à la tentation d’en mettre plein la vue à son patron, le bras droit et dauphin de Gueshé-la, l’invitant à Ramatuelle, à deux pas de St Tropez et de Pampelone. Quand on habite dans le Nord et que l’on souhaitait participer à un tel événement fédérateur, cela n’était pas franchement très pratique mais montre au moins que le mythe romantique de la « French Riviera » chère à Lord Byron et Shelley, au début du XIXème siècle, exerce encore son attraction Outre-Manche sur l’inconscient collectif des plus blasés.



« L’Eglise est prospère, pourtant elle donne des leçons d’abnégation :
comment ne pas s’offusquer d’un tel paradoxe ? »
( Luc Ferry commentant Nietzsche
dans Qu’est-ce qu’une vie réussie ? )


Quand, pour la première fois, à l’occasion d’une conférence publique, j’ai appris que Gueshé Kelsang Cegyatso était venu incognito en Espagne pour inaugurer un autel, j’ai cru qu’il s’agissait de l’autel d’un de ces « Temples pour la Paix » (marque déposée) dont la Nouvelle Tradition Katampa, depuis quelques années, duplique la charpente de Mandarom extraterrestre aux quatre coins de la planète, un peu comme les Salles du Royaume moins futuristes où s’assemblent les Témoins de Jéhovah. Mais non, c’est d’un hôtel qu’il était question sur la Costa del Sol, un hôtel, comme au Monopoly, place de la… Libération probablement. D’ailleurs les brochures sont déjà imprimées car la NTK Ltd. n’hésite pas à investir en marketing publicitaire : dépliants en couleurs, cartes postales sur papier glacé, photo-montages racoleurs où paysages naturels et monuments historiques côtoient habilement dignitaires religieux et divinités du panthéon tantrique, « Everybody is welcome » ; le département promotion et communication donne ainsi à lire en négatif le cœur de cible visé, illustrant avec éloquence qu’on ne prête qu’aux riches, n’est-ce pas ? Un deuxième établissement vient d’ouvrir en Italie, histoire de créer une dynamique par émulation, près de Florence, et la firme propose également des possibilités d’hébergement à Minorque, les pieds dans l’eau, « Dharma en vacaciones ». Sous l’astucieux slogan « Peace is closer than you think », une nouvelle race de Club Med - comme Méditation - se lance au grand jour dans le foncier et la finance, comptant à la fois sur les donations de ses généreux sympathisants et la contribution volontaire de bénévoles, auxquels il faut ajouter les retombées d’un juteux merchandizing, grignotant des parts de marché avec, par exemple, en avril 2007, à Stockholm, la première célébration du Dharma Katampa en Scandinavie. Par tradition, parions cependant que les retraités britanniques demeureront longtemps encore plus attachés aux villégiatures en Andalousie, aux Baléares et dans la campagne toscane ; ce n’est sans doute pas par hasard, non plus, si la NTK y a implanté ses premiers villages-vacances pour bobos (bourgeois-bouddhistes), ses résidences CBGB ( Compagnie Bouddhique de Grande-Bretagne). Ah, il est bien loin le temps où Mc Cartney chantait : “ Every summer we can rent a cottage / In the Isle of Wight, if it’s not too dear ” ( “ When I’m sixty-four ” ) !

Malheureusement, je ne retrouve pas la référence exacte du ou des soutra(s) dans le(s)quel(s) Shakyamouni prône l’impérieuse nécessité d’ériger ces Temples ou ces Cafés de la Paix et de posséder sa propre chaîne d’hôtels. Par contre, en annexe de Transformez votre vie (page 412), Gueshé Kelsang Cegyatso cite Atisha qui, dans « Les conseils qui viennent du cœur », au début du XIème siècle, écrit : « Puisqu’il n’y aura jamais un moment où les activités mondaines arrivent à leur fin, limitez vos activités. » ; dans La compassion universelle, Gueshé-la s’exprime lui-même en ces termes ( chapitre 4. FAIRE DE L’ADVERSITE LA VOIE DE L’EVEIL TOTAL ! ) : « Il se peut qu’une communauté religieuse soit d’abord très pauvre mais que ses membres trouvent le contentement dans leurs pratiques spirituelles et vivent ensemble dans la paix et l’harmonie. Par la suite, si la communauté s’enrichit, ses membres risquent de voir leur attention absorbée par toutes sortes de travaux et de se laisser distraire de leur sincère pratique du Dharma qui dégénère rapidement. » (page 92 aux Editions Dharma, novembre 1991). Les affidés à la NKT ont bien raison de s’en remettre uniquement à ce Maître, véritable encensé vivant : quel plus beau témoignage d’absence de tout esprit critique peut-on lui rendre que cette idolâtrie aveugle, héritière des ténèbres d’un Moyen Age que l’Occident pensait avoir un peu trop rapidement enterré ?!

Victime d’une vocation précoce encouragée pas ses parents, c’est dès huit ans, après avoir mûrement réfléchi, que GKG, pour les intimes, devint un mignon moinillon ; nous étions en 1939, repère historique facile à situer. Alexandra David-Néel puis Heinrich Harrer ne sont pas restés insensibles à l’effervescence et au bouillonnement intellectuels qui, à cette époque, faisaient de Lhassa la capitale culturelle du monde… surtout dans les hautes sphères de l’intelligentsia monacale ! Aussi, à la différence de ses hôtes, ne nous étonnons pas, quand GKG se téléporte en Angleterre, à l’âge de quarante-six ans, alors que certaines habitudes sont bien ancrées dans la personnalité, de constater que le dévot personnage ne se lave qu’une fois tous les deux mois, détail trivial qui nous a été rapporté comme authentique : on n’a pas trop de temps pour s’occuper de sa personne quand, pendant des années, on court d’une exposition à un concert, d’un vernissage à un cocktail… en portant sur les épaules le Salut de l’Humanité. A peine installé, il se met à s’exprimer en anglais, langue qui en dépit de sa difficulté lexicale et de ses subtilités grammaticales conquiert, au même moment, un statut universel et dont il devient bien vite expert, jouant même de sa prononciation en y conservant par coquetterie des intonations indo-orientales à peine perceptibles. Spontanément, germe alors dans son esprit l’intuition de mettre en place un véritable cursus basé sur l’étude de livres qui lui valent des droits d’auteur. On n’est jamais mieux servi que par soi-même et les disciples qu’on a pris soin de former s’en attachant leurs services par un lien de Maître à disciple. De là l’effet boule de neige qui a fini par déclencher cette avalanche d’espèces sonnantes et trébuchantes que les spécialistes des phénomènes aurifères désignent par l’expression « trouver un bon filon » et que l’on baptise plus communément du nom de Jackpot. Pionnière en ce domaine, la Nouvelle Tradition Katampa voit en ces programmes d’une rigueur toute académique ce qui la distingue radicalement des autres communautés bouddhiques jugées trop éclectiques et superficielles, et dans lesquelles la théorie n’est pas assez liée à la pratique quotidienne. Aucune allusion à un protecteur tutélaire pour marquer sa différence, désolé pour les chasseurs de fantômes et autres experts en démonologie.

Effectivement, il faudra attendre jusqu’en 2005 pour que le centre jumeau établi en France, pourtant d’obédience Katampa lui aussi, comme l’atteste le style tumescent du stoupa/chörten qui orne son jardin - mais qui est demeuré fidèle à la Fondation pour la Préservation de la Tradition Mahayana et au Dalaï-Lama - propose à son tour un cycle d’études de découverte ou d’approfondissement du bouddhisme au contour mal défini, constitué de modules indépendants épars et ne garantissant pas une formation avec validation systématique des acquis comme chez ses homologues d’Outre-Manche. A l’Institut Vajra Yogini, près de Toulouse, des Gueshés pluriels enseignent dans leur langue maternelle, assistés d’une traductrice, et les rituels sont exécutés d’après des textes de prières transcrits en phonétique tibétaine, psalmodiés par une maîtresse de chants à la voix nasillarde et haut perchée mal appropriée, diva inspirée habitée par Tara qui l’a investie du devoir d’expédier ça en deux, trois au maximum, coups de cuiller à pot. On y parle plus volontiers agriculture biologique, médecine naturelles et douces thérapies, que conquête du monde par projets immobiliers interposés ; surtout, on y est très sensible à l’oppression chinoise en territoire tibétain occupé comme aux nombreuses formules d’aide qui tentent de secourir un peuple en exil. Incontestablement, un air en provenance des hauts plateaux himalayens souffle dans les couloirs du Château qui reçoit parfois la visite de hiérarques qui appartiennent à d’autres écoles que celle bonnets jaunes de l’ordre guélougpa. A tel point qu’un yak n’y retrouverait pas toujours ses petits. Point d’exclusive et, de l’autre côté du village, quelques moines vivotent, plus ou moins en reclus, dans une bastide pompeusement appelée monastère et que jouxte à présent un petit temple à l’allure originale, un peu comme là-bas tout de même. Rien à voir avec notre malheureux Superlama, d’emblée isolé et coupé de ses racines, imprégné du pragmatisme anglo-saxon de la meute de lycanthropes qui l’assaille, au point de ne pas pouvoir battre en retraite avant deux, trois ans, comme il vient de l’annoncer récemment, après un ultime baroud d’honneur : sans doute parrainer une équipe de football ?

D’ailleurs, participer à un des festivals annuels que la maison-mère tient dans son prieuré victorien de la Région des grands lacs, sur la côte ouest, est un traumatisme que tout bouddhiste consciencieux devrait s’imposer une fois dans une de ses vies : l’occasion ne lui sera peut-être jamais plus donnée de partager pendant une ou deux semaines la vie d’une fourmilière. Premier test grandeur nature, au moment de m’inscrire, puisqu’il est souvent précisé que « personne n’est refusé pour manque d’argent », j’envoie une photocopie de ma carte d’étudiant et de famille nombreuse qui me vaut une réduction sur les lignes de la S.N.C.F., en priant Mandjouchri de m’accorder une petite ristourne comme il y a quelques années, quand il suffisait d’être dans les premiers pour bénéficier d’un rabais de 10% ; il me répond par l’intermédiaire de son correspondant, le responsable local, que cette faveur est désormais réservée aux ressortissants de pays pauvres et n’accepte de prendre en considération que ma carte de crédit, pour le paiement des arrhes de réservation. Pendant ce temps-là, Gwyn Mollah se comporte en pays conquis dans un état-providence qui vient de reconnaître à sa chère organisation le statut envié d’association cultuelle ( loi 1905 ) qui lui accorde des droits qui justifieraient bien quelques concessions en retour quand on a une vocation d’extension à l’International : recevoir les revenus des biens meubles et immeubles, être exonérée des droits de mutation pour les dons et les legs et de l’impôt foncier sur les édifices lui appartenant, recevoir des dons et legs, obtenir l’affiliation de ses membres permanents non salariés au régime de la Sécurité Sociale réservé aux ministres des cultes, sous certaines conditions pour ces deux dernières mesures, etc.

Deuxième déception : une résidente permanente me reçoit fort cavalièrement quand je heurte à son carreau pour réclamer une clef à pipes ( pourtant, sans la moindre ambiguïté - en anglais -, cela se dit bien « box spanner/wrench » ) afin de resserrer un boulon défaillant de la bicyclette que l’on m’a prêtée en ville ( bien que nous soyons tout près de l’Ecosse… prêtée !? ). Même accueil glacial, visiblement je dérange quand, d’abord baladé de bureau en bureau, j’arrive à celui où les informations que je cherche devraient être disponibles une liste comportant l’intitulé du thème principal des précédents festivals, de manière à examiner si une progression quelconque s’y dessine. Non, un tel document n’existe pas ou n’est pas disponible, d’ailleurs on a autre chose à faire que de répondre aux requêtes personnelles, en particulier le directeur exsangue qui a toujours son cartable à la main et consulte fébrilement des écrans d’ordinateurs… Par ailleurs, toujours d’après mes renseignements, aucun soutien psychologique n’est prévue dans ce genre d’endroit pourtant exposé aux effusions psychiques et, en cas de besoin, il serait fait appel à une intervention venant de l’extérieur pour l’admission en urgence dans un établissement spécialisé : tout de suite l’ambulance avec les infirmiers en blanc et la camisole pour les fauteurs de troubles, ce que Gotlib appelait le « droit d’asile » . De toute façon aucune inquiétude à avoir, me rassure-t-on à l’accueil, puisque Gueshé-la contrôle tout et veille à la paix mentale de chacune de ses brebis.

A la librairie, qui ne commercialise que les nombreux titres de GKG - point de bibliothèque sur place pour les emprunter -, mais aussi tout ce qui imprimé et produit par la maison d’édition et les studios d’enregistrement de la NKT ( jusqu’au DVD du spectacle de clôture du festival par des amateurs ), pour parvenir jusqu’aux caisses, il faut se faufiler entre les cartons de livres qui montent jusqu’au plafond de l’entrepôt ; là, inutile d’essayer de vous faire exceptionnellement avancer un peu de liquide pour vous dépanner, avec votre carte de crédit en garantie, « We don’t cash back ! » et l’on vous conseille d’aller en retirer à l’épicerie la plus proche, tout au bout de la route. Cet excès de sollicitude fait plaisir à voir quand on connaît un léger embarras passager… Une vente de charité bien ordonnée, c’est-à-dire qui commence par soi-même, est organisée pendant les deux semaines du festival. En 2005, elle aurait rapporté à elle seule près de trente mille dollars ( vingt millions d’anciens francs ), selon le principe suivant : chaque participant, il en vient de tous les continents, apporte, s’il le souhaite, un objet de son pays qu’il offre au « Marché » tenu par des bénévoles. On ne confondra pas cette pièce avec celle où sont mis en vente des objets de culte dont j’ignore la provenance mais qui parfois, je pense à des statues grandeur nature, reviennent à l’envoyeur en dons redistribués, paraît-il, aux centres annexes et que l’on stocke en attendant dans le hall où l’on peut laisser des babioles que l’on récupère plus tard, quand elles ont été bénies… à distance. Le marché fait feu de tout bois : des t-shirts spécialement imprimés pour célébrer l’occasion - soldés à moitié prix le dernier jour : tout doit disparaître – au reliquat en anciennes affiches qu’un ingénu pensait mises gracieusement à disposition. J’y ai vu, entre autres, de la fondue au fromage en sachet, sous vide, qui venait de Suisse. Le rapport direct avec le bouddhisme n’est pas toujours aussi évident mais une brochure est disponible qui dispense de judicieux conseils : les images encadrées des divinités dont on confère l’initiation seront, bien sûr, les plus appréciées, soigner l’emballage, la couleur bordeaux sied à la garde-robe des moines, etc. Attention tout de même : doucement pour les représentations de bouddhas, à éviter comme motif de décoration. Si vous-même êtes piètre bricoleur, fournissez à un artisan confirmé le matériau dont il a besoin ou mettez-vous à plusieurs pour co-financer un projet plus ambitieux. Tout ça pour la bonne cause : la construction des Temples de Paix et la propagation de la bonne parole. Sans compter, m’a-t-on dit devant mon étonnement, l’entretien du prieuré et de la propriété attenante qui coûte cher. Mais à quoi bon aussi, si ce n’est par vain prestige, s’embarrasser d’un bâtiment d’une telle importance pour trois petites semaines de festivals, alors que le Lama réside maintenant, je crois – car c’est un sujet tabou – une grande partie de l’année aux Etats-Unis et que la plupart des participants dort sous la tente ? L’emplacement est payant, comme le parking : un grand champ même pas gardé. Je ne suis pas comptable, moi, mais les frais de location inhérents à ce genre d’événement ponctuel sont, à mon avis, vite amortis.

Pourtant le clou du spectacle reste à venir : la « retraite » ( on est plusieurs milliers à y participer ) guidée par Génial Sans-gêne Gastro, ce disciple confirmé des premiers temps, celui-là même que Gwyn Mollah a accueilli comme un prince sur le tapis bleu de la Côte d’Azur ( il a dû y avoir des luttes d’influence au sein de l’empyrée car, en 93, le successeur désigné était un certain Gin Topten Gyatso ) . La littérature anglaise possède son Harpagon et son Père Grandet en la personne du Shylock de Shakespeare et du Scrogge de Dickens mais, si un Molière ne lui a pas encore donné son Tartuffe, elle dispose en ce Général Tandem Castro d’un modèle tout désigné. Il suffit de copier les mimiques impayables de cette chattemitte dont les téléviseurs couleurs du temple répercutent en gros plan le rictus abyssal, quand sa voix sensuelle fait sauter les boutons de braguette et enfonce à mots mesurés la porte grande ouverte du nirvãna. Parfois, sans prévenir, il surjoue l’extase : l’accent aigu de sa paupière gauche s’abaisse précautionneusement sur son œil droit en papillonnant, tandis que simultanément, l’accent grave de sa paupière droite clôt imperceptiblement son œil de velours gauche. Le temps semble suspendre son vol. Ses lèvres s’élèvent en arc circonflexe pour former une moue d’humilité. En ces crises aiguës de concentration il prend un air grave et circonspect ; son corps astral, habitué à de tels transports, se détache alors de son enveloppe charnelle pour venir planer à plusieurs milles de hauteur, tel un point sur un i, dans un silence de cathédrale à peine ponctué par le passage de quelques légions d’anges victimes, eux aussi, d’un délire collectif. Cette pose compassée est proprement insupportable, si bien que le mieux est encore de faire comme lui : fermer les yeux. Dès que ce jocrisse, la suavité aux lèvres, quitte son attitude de prière et que ses mains pleines de doigts se séparent au niveau de son grand cœur au ciel ouvert, rien ne sera plus jamais comme avant et un profond silence s’établit à nouveau. Le Bouddha vivant va parler...

Chaque séance, mais on dit session, dure à peu près une heure trente dont une heure de chants psalmodiés, quinze minutes de méditation muette : il lui reste tout de même un bon quart d’heure à meubler, en le ponctuant de traits d’esprit téléphonés, dans la pure lignée d’un Benny Hill mâtinée de Mr.Bean, l’autosatisfaction en plus. Il est même assez gonflé pour inviter un auditoire qui a parcouru des milliers de kilomètres afin de venir l’écouter et s’attend , enfin, à des révélations en cette ultime confrontation, à méditer en silence pendant près d’une heure , ce que chacun pourrait tout aussi bien faire seul chez soi… il y va fort mais aurait tort de se gêner : plus c’est gros, mieux ça passe. Le jeune Arthur Rimbaud, encore adolescent, écrivait dans un sonnet, « Le Mal », évoquant le hochement de tête des figurines en stuc qui ornent certains troncs d’églises :

« Tandis qu’une folie épouvantable broie
Et fait de cent milliers d’hommes un tas fumant ;
- Pauvres morts ! dans l’été, dans l’herbe, dans ta joie,
Nature ! ô toi qui fis ces hommes saintement !...-

Il est un Dieu, qui rit aux nappes damassées
Des autels, à l’encens, aux grands calices d’or ;
Qui dans le bercement des hosannah s’endort,

Et se réveille, quand des mères, ramassées
Dans l’angoisse, et pleurant sous leur vieux bonnet noir,
Lui donnent un gros sou lié dans leur mouchoir ! »
( Poésies )

En fait, à travers son comportement, le plus criant peut-être, c’est tout le premier cercle rapproché des adorateurs du Lama ( « nous pensons à ton corps qui nous coupe le souffle » exagère une louange à lui adressée » ) que je soupçonne, par soif d’honneurs et de pouvoir, de créer des interférences, un mur d’obstructions barrant tout relation saine qui chercherait à s’établir normalement, pour y mêler des intérêts bassement matériels : comptes d’apothicaires, préoccupations de boutiquiers. Quand la question de la succession à Gueshé-la va inévitablement se poser, la machine GKG / NTK risque de s’emballer ; déjà l’été dernier, à mi-festival, le prospectus pour celui de l’an prochain étaient déjà distribué, les rassemblements mobilisateurs se multiplient à un rythme effréné, les frais de participation augmentent, les paniers pour la quête circulent de main en main.

Un euro cinquante pour le moindre sachet de thé ou une cuillérée de café soluble dans de l’eau bouillante, c’est un peu cher, surtout quand il vous est servi par un bénévole, et les pâtisseries maison sont également au même tarif prohibitif - salauds de rosbifs ! – qu’au pub du coin : on finit par se demander à qui profite l’ice-cream ? En tout cas ni au festivalier taillable, ni au volontaire corvéable qui, souvent, tour à tour, ne font qu’un. Tout cela baigne dans la mélasse poisseuse des bons sentiments épinglés au revers de la boutonnière dont des vidéos au casting soigné, diffusés sur le web, se font l’écho, avec accompagnement de musique new-âgeuse. Une convivialité bon enfant, qui n’est pas sans rappeler un stage en entreprise, un séjour en village-club, l’ambiance des Vieilles charrues ou d’une rave-party, règne sur la ruche, l’alcool, le sexe et la drogue en moins… C’est à cette occasion, il y a une dizaine d’années, que j’ai rencontré pour la première fois l’inébranlable Gwyn Mollah : « Alors, les offrandes ? Faut donner, les Français, faut donner : un peu plous de djénérosité ! » furent les premiers mots que je l’entendis prononcer, même ses propres disciples parisiens étaient terriblement gênés de cette âpreté. Elle seule réunit à la fois les réalisations spirituelles et les compétences linguistiques lui permettant d’assurer une traduction fiable en français ; ce constant dévouement n’a rien à voir avec une quelconque ambition personnelle exacerbée. L’humble servante du Dharma souffre le martyr quand les gens se prosternent devant elle, mais ne leur demande pas de se relever, lui cèdent le passage, mais leur passe devant, ou sollicitent ses conseils avisés, dont elle n’est pas avare, consciente d’avoir réponse à tout. La dernière fois, toujours dans le coin des traducteurs qui relaient la parole divine, elle m’a même gratifié du baiser de Judas, une accolade démonstrative appuyée qui est de rigueur, là-bas, quand on retrouve une vieille connaissance. Plus tard, Tony Jean VI, lui, a insisté pour me rencontrer mais il n’avait que le moment du déjeuner à me sacrifier et m’a prié d’y assister, et puis même pas, « tu sais, il y a une réunion vachement importante avec Geshé-la et il faut arriver un peu avant l’heure pour être bien placé ». Alors on s’est vu entre deux séances, dans le parc, et je lui ai raconté n’importe quoi ; de toute façon il n’écoutait pas et, le temps que j’aille lui chercher une tasse de thé, il avait déjà replongé le nez dans ses dossiers, sans doute pour préparer l’assemblée générale. Ce jeune cadre dynamique, à l’élocution contrôlée et efficace, ne dispose pas d’une minute à lui tellement il se consacre à son sacerdoce : heureusement qu’une pause au trois quarts des longs rituels lui permet d’appeler sur son portable parce que pas question qu’il en déplace l’horaire tellement son agenda est over-booké, ce qui est tout le même le bouquet.




“I am he as you are he as you are me and we are all together”
( John Lennon, “ I am the Walrus”, Magical Mystery Tour.)



Je suis convaincu que la NKT ne peut m’en vouloir de ma franchise, à commencer par Gwyn Mollah qui, en tant que bouddhiste confirmée ( pensez-vous : plus de vingt ans ), sait que j’ai composé ces lignes sous l’emprise des facteurs perturbateurs, c'est-à-dire en partie irresponsable de mes actes ; que, par enchaînement interdépendant de cause à effet, elle a, involontairement convenons-en, attiré sur elle-même ces foudres karmiques, faute d’avoir purifié suffisamment et en temps utiles ses agrégats contaminés, tout en acquérant du mérite ; enfin, cette dernière conviction m’absout définitivement de tout péché et me blanchit de tout sentiment de culpabilité, nous sommes tous deux dépourvus du moindre pixel d’existence intrinsèque, chacun de notre propre côté, et les molécules d’encre qui se sont déposées sur les atomes de la pâte à papier, « like endless rain into a paper cup », n’ont ultimement pas plus de consistance qu’une brise marine qui aplatit des gros flocons d’écume de mer contre les remparts d’un château de sable… « Nouvelle Tradition Kadampa » n’est qu’une manière de désigner commode, une étiquette fonctionnelle accolée sur le rassemblement transitoire et instable des membres, eux-mêmes néantisés, qui constituent cette abstraction conceptuelle. En ce sens, mon analyse, qui ne repose sur rien, n’a d’autre réalité que de fonctionner à vide, c’est le cas de le dire ; dans ces conditions, qui reprocherait quoi que ce soit à qui, et à quel sujet d’abord ? On le voit, dans le bouddhisme, l’idée même de controverse est contraire à l’esprit de la doctrine, proprement inconcevable.

Par contre, dans cette conclusion, je voudrais rendre l’hommage qui lui revient au truculent Daniel Odier. Son échevelé Grand sommeil des éveillés ( collection Spiritualités poche, éditions Le Relié ) vaut surtout par la courte notice qui figure au verso de sa jaquette. Mais l’idée qu’il prétend y développer selon laquelle le respect absolu est le pire service que l’on puisse rendre à un maître spirituel est d’un grand rendement. On en trouve déjà la trace chez Lin-Tsi et Daniel Odier fait d’ailleurs allusion, dès sa préface, à ce gourou chinois du IXème siècle ( les Entretiens de Lin-Tsi ont été publiés en documents spirituels chez Fayard, en 1972, traduction et commentaires par Paul Demiéville ). Dans cette optique, puisse le texte dont j’achève la laborieuse rédaction aider ceux qui auront le courage de le lire à surmonter colère, développer patience et réduire leur ignorance. Quand il revient sur l’enseignement qu’il est en train de délivrer magistralement, Gueshé Kelsang Gyatso s’en excuse par cette formule : « You know, it’s my job, you know ! ». Eh bien, vous savez, le boulot des intellos a toujours consisté à dénoncer certaines dérives, en particulier ce dogmatisme irrépressible qui gangrène toute religion à partir du moment où le clergé ne pense plus qu’à garantir sa propre survie, défendre sa position acquise, instinct de conservation vis-à-vis duquel on ne saurait être assez vigilant et attentif. D’autant plus qu’un vieux fond laïc républicain aura naturellement tendance à faire de la résistance face au repli communautariste à l’anglaise dont apparaissent aujourd’hui les limites.

Que chaque foyer francophone dispose de l’intégrale des œuvres traduites de Gueshé-la, comme on en exprime le souhait dans nos intentions de prières, soit, mais n’oublions jamais le sacrifice de Monsieur Paul, le chauffeur de Lady D, ce kamikaze bourré au pastis qui sacrifia sa vie pour venger l’honneur de Jeanne d’Arc. Vive l’intégration, vive le jus d’ananas et non à toute forme de Djihad. Ne soutenons pas les excès d’une entreprise initiée depuis une monarchie étrangère qui, profitant de notre hospitalité, vise à rétablir une aristocratie théocratique de sinistre mémoire. Quitte à risquer l’excommunication pour idéalisme, je ne prends refuge dans la Sangha qu’autant qu’elle donne l’exemple du renoncement, mesuré à l’aune du dénuement le plus désintéressé. Et René Guénon président en 2007 !

PIERRE SOGOL