Monday, December 20, 2010

Chasse aux sorcières en Inde






Une réunion organisée vendredi dernier dans l’Assam (Nord-Est) a permis de soulever à nouveau le problème des exactions commises contre les "sorcières" des villages de certaines régions en Inde, où les superstitions sont encore vivaces.


Rashmi Rabha et sa famille ont quitté leur maison depuis plusieurs mois déjà. Avant d’être chassées du village, Rashmi et sa fille de 18 ans ont été battues en public puis contraintes d’abandonner leur travail. Pour les habitants de ce petit village du Meghalaya (Nord-Est), les deux femmes sont des sorcières.
"J’ai dû trouver un abri chez un membre de ma famille dans un autre village, où je suis restée plusieurs mois avec ma fille, mon fils, mon beau-fils et mon petit-fils", a-t-elle déclaré. Sa fille aînée, restée au village, a tenté de protester avant de plier sous la menace et d’être poussée au suicide.


Elles seraient plusieurs centaines en Inde à subir ainsi les persécutions des voisins et des proches, et près de 200 à être tuées tous les ans pour "sorcellerie". Les accusées sont alors battues à mort, pendues, ou enterrées vivantes. Cette superstition sévit surtout dans les régions reculées du pays. Selon une ONG de l’Uttarakhand (Nord) spécialisée dans les droits et le règlement des litiges dans les milieux ruraux, l’Etat du Jharkhand compte le nombre le plus élevé de crimes liés à ce type d’accusation, avec 50 à 60 cas par an. L’Andhra Pradesh, l’Haryana et l’Orissa font également partie des Etats où le nombre de victimes peut monter à trente chaque année. Selon une étude publiée par l organisation en 2010, plus de 2500 femmes accusées de pratiquer la magie noire auraient été tuées ces quinze dernières années.


Misère et ignorance


"Ces régions sont confrontées à une pauvreté criante, avec un accès limité ou inexistant aux services de santé et à l’éducation. Dans ces circonstances, la superstition gagne une place importante", expliquait Ahluwalia, travailleuse social, pour un WeNews. Une mauvaise récolte, un décès, la perte d’un enfant, ou une maladie seront l’occasion de faire appel à ces croyances irrationnelles.


Cité par Women News Network dans un récent article, Kanchan Mathur, professeur à l’Institut des Etudes sur le Développement en Inde soulignait en particulier la vulnérabilité des "femmes pauvres, issues de castes inférieures". Les premières victimes seraient cependant les veuves et les femmes célibataires, ciblées pour leurs terres et leurs économies. "La convoitise de biens est une des raison derrière les meurtres pour sorcellerie", analyse ainsi le responsable d’une association de soutien, l'Andra Shraddha Nirmulan Samiti. Dans le cas de Rashmi Rabha, la victime explique que son neveu était à l’origine des rumeurs : "il a tenté de confisquer ma maison en nous accusant de sorcellerie et en déclarant que nous voulions faire du tord aux autres habitants du village."


Seuls quelques Etats comme le Jharkhand, le Bihar et le Chattisgarh ont entériné une loi concernant la "chasse aux sorcières". Une pétition rédigée à l’intention de la haute cour de justice pour un renforcement de la loi à ce sujet a été rejetée en mars 2010.
Des initiatives à l’échelle associative et individuelle ont cependant été lancées depuis. Le "Projet Prahari", mené par un inspecteur général de la police à Kokrajhar, a ainsi permis de contrer ces pratiques par une formule mêlant développement participatif et politique communautaire. Son succès pourrait inspirer les administrateurs sur une plus vaste échelle.


Yé-rinne Park.


Photo : Les femmes accusées de sorcellerie sont humiliées sur la place publique, notamment en se faisant raser la tête comme ici au Bihar.


Source :
http://inde.aujourdhuilemonde.com/en-inde-la-chasse-aux-sorcieres-continue

Monday, October 18, 2010


Sexualité & bouddhisme

L’interdit sexuel

Venons-en à la faute majeure, l’acte sexuel (mal)proprement dit. Le Vinaya indien n’est pas avare de détails sur ce chapitre et la sexualité, interdite en principe, en tout cas sérieusement restreinte par un arsenal de règles. Outre la transgression de la règle de chasteté, qui entraîne l’exclusion de la communauté, divers cas de pénitence relèvent de cette rubrique – parmi lesquels : l’onanisme, les attouchements, les propos grivois, l’amour « platonique ».

La bestialité moins répréhensible que l’hétérosexualité

La première faute « pârajika » pour les moines est définie comme suit : « Quand un moine… a des rapports charnels avec un être du sexe féminin, à quelque espèce qu’il appartienne, il est expulsé de la communauté. » L’acte hétérosexuel est donc strictement prohibé, « même avec un animal ». La bestialité semble à vrai dire moins répréhensible que les rapports hétérosexuels. On fait remonter cette clause au cas d’un moine qui avait apprivoisé une guenon, et dont le vice fut découvert quand celle-ci s’offrit en toute candeur à d’autres moines. Les rapports homosexuels entre hommes, par contre, sont étrangement passés sous silence.

Bouddha était misogyne

La règle contre le commerce avec l’autre sexe trouve son origine dans le cas de Sutina, un disciple de Bouddha qui avait quitté ses parents et sa jeune épouse pour se faire moine. A la mort de son père, sa mère vint le supplier de rentrer chez lui, ou du moins de donner à sa femme le fils qui pourrait continuer la lignée familiale. Après quelques atermoiements Sutina finit par céder, et remplit ses devoirs filiaux et conjugaux. Le Bouddha, ayant eu vent de l’affaire, le réprimanda sévèrement sans tenir compte des circonstances atténuantes : « Mieux vaudrait, imbécile, que ton sexe pénètre dans la bouche du serpent venimeux et terrible, plutôt que de pénétrer dans celui d’une femme ! Mieux vaudrait, imbécile, que ton sexe pénètre dans une fournaise, que de pénétrer dans celui d’une femme ! » Sutina fut finalement expulsé de la communauté, et le Bouddha édicta la règle en question pour éviter qu’un cas semblable se reproduise.

Le sexe, idée fixe des religieux

Un commentaire comme la « Samantapâsâdikâ » définit l’acte sexuel comme une « faute grave, au terme de laquelle on doit utiliser de l’eau (pour se laver) », et qui « se pratique en un lieu secret par deux personnes » ; plus précisément, « lorsque la partie externe de l’organe masculin est insérer, ne fût-ce que dans la mesure d’un grain de sésame, dans l’organe féminin – la région humide où le vent lui-même n’atteint pas ». L’acte comprend quatre phases : l’introduction du pénis, la durée de l’étreinte, la séparation, la période qui suit l’étreinte. Si le moine éprouve du plaisir à l’un quelconque de ces quatre moments, il est coupable ; sinon, il est innocent !

Mais les précisions ne s’arrêtent pas là, Le commentaire, soucieux de clarifier l’identité des partenaires possibles, dénombre « trois sortes de femelles », deux types de « neutres » (pandaka, subdivisés chacun en trois sortes), et trois sortes de mâles – soit au total douze sortes d’individus avec lesquels on peut commettre une faute pârâjikâ. On notera que les partenaires mâles sont rajoutés dans le commentaire, alors qu’ils étaient omis dans l’énoncé de la règle elle-même – qui par contre envisageait toutes les catégories de femelles. Quoiqu’il en soit, par un savant calcul fondé sur le principe que certaines de ces catégories d’êtres (femelles et hermaphrodites humains, non-humains, et animaux) n’en possèdent que deux, on parvient à un total de trente « voies », par où l’intromission – « ne fût-ce que dans la mesure d’un grain de sésame » - constitue une faute possible d’exclusion.

Un délire taxinomique

La catégorie animale, comme si elle n’était pas en soi assez évidente, fait l’objet de précisions dont le raffinement confine au délire taxinomique : ainsi, parmi les animaux inférieurs, avec ou sans pattes (serpents, poissons, poulets, chats et chiens), la classe des serpents comprend tout ce qui rampe, notamment les mille-pattes ; celle des poissons comprend également les tortues, les iguanes et les crapauds. Comme celui des chats, chiens, et autres animaux, le corps de ces créatures présente trois parties, dont la moindre pénétration constituerait une faute pârâjika. A une exception près toutefois : le commentateur observe en effet que, quoique la gueule d’un crapaud soit très large, y introduire son pénis n’entraînerait guère de plaisir ( à la différence sans doute du mille-pattes ou du serpent ?) et ne constituerait donc qu’une faute passible de pénitence. De même, lorsqu’on pratique l’acte sexuel dans la trompe d’un éléphant, ou dans d’autres paries – non génitales – d’animaux domestiques comme le cheval, la vache, l’âne, le chameau ou le buffle.

Bernard Faure

Tuesday, October 12, 2010


Krishnamurti on Meditation

Meditation is never the control of the body. There is no actual division between the organism and the mind. The brain, the nervous system and the thing we call the mind are one, indivisible. It is the natural act of meditation that brings about the harmonious movement of the whole. To divide the body from the mind and to control the body with intellectual decisions is to bring about contradiction, from which arise various forms of struggle, conflict and resistance.

Every decision to control only breeds resistance, even the determination to be aware. Meditation is the understanding of the division brought about by decision. Freedom is not the act of decision but the act of perception. The seeing is the doing. It is not a determination to see and then to act. After all, will is desire with all it's contradictions. When one desire assumes authority over another, that desire becomes will. In this there is inevitable division. And meditation is the understanding of desire, not the overcoming of one desire by another. Desire is the movement of sensation, which becomes pleasure and fear. This is sustained by the constant dwelling of thought upon one or the other.

Meditation really is a complete emptying of the mind. Then there is only functioning of the body; there is only the activity of the organism and nothing else; then thought functions without identification as the me and the non-me. Thought is mechanical, as is the organism. What creates conflict is thought identifying itself with one of its parts which becomes the me, the self and the various divisions in that self. There is no need for the self at any time. There is nothing but the body, and freedom of the mind can only happen when thought is not breeding the me. There is no self to understand but only the thought which creates the self. When there is only the organism without the self , perception, both visual and non-visual can never be distorted. There is only seeing 'what is' and that very perception goes beyond what is. The emptying of the mind is not an activity of thought or an intellectual process. The continuous seeing of what is without any kind of distortion naturally empties the mind of all thought and yet that very mind can use thought when it is necessary. Thought is mechanical and meditation is not.
Excerpt taken from 'The Beginnings of Learning'.
Copyright: Krishnamurti Foundation Trust Ltd. London. 1979
Published by Victor Gollancz Ltd.

Thought cannot conceive or formulate to itself the nature of space. Whatever it formulates has within it the limitation of its own boundaries. This is not the space which meditation comes upon. Thought has always a horizon. The meditative mind has no horizon. The mind cannot go from the limited to the immense, nor can it transform the limited into the limitless. The one has to cease for the other to be. Meditation is opening the door into spaciousness which cannot be imagined or speculated upon. Thought is the center round which there is the space of idea, and this space can be expanded by further ideas. But such expansion through stimulation in any form is not the spaciousness in which there is no center. Meditation is the understanding of this center and so going beyond it. Silence and spaciousness go together. The immensity of silence is the immensity of the mind in which a center does not exist. The perception of this space and silence is not of thought. Thought can perceive only its own projection, and the recognition of it is its own frontier.

J. Krishnamurti, The Only Revolution, Victor Gollancz: London, 1970, p. 40

Meditation is not a search, it's not a seeking, a probing, an exploration. It is an explosion and discovery. It's not the taming of the brain to conform nor is it a self-introspective analysis, it is certainly not the training in concentration which includes, chooses and denies. It's something that comes naturally, when all positive and negative assertions and accomplishments have been understood and drop away easily. It is the total emptiness of the brain. It's the emptiness that is essential, not what's in the emptiness, there is seeing only from emptiness, all virtue, not social morality and respectability, springs from it. It's out of this emptiness love comes, otherwise it's not love. Foundation of righteousness is in this emptiness. It's the end and beginning of all things.

Krishnamurti, Notebook

“What is meditation and how is it related to creativity?”

Meditation is a very complex business. This is a dialogue between us. And I said it is a very complex business. The word meditation implies both in Sanskrit and in English, not only the brain concentrating on a certain subject, but also it implies a great deal of attention. But primarily meditation means, in Sanskrit, to measure. And also in English etymologically, I believe, it is to measure. The whole question of becoming is involved in it, which is to measure: I am this, I will be that. I am greedy, but I will gradually become non-greedy, which is a form of measurement, which is form of becoming. Both becoming in the affairs of the world and psychologically becoming. That is the whole question of measurement. The Greeks, the ancient Greeks - you know all about that, I don’t have to go into it - were the originators of measurement. Without measurement there would be no technology. And the Asiatics specially in India, said measurement is illusion, measurement means limitation. I am translating, they didn’t exactly say this, they put it differently. So measurement means comparison, to compare ‘what is’, ‘what should be’, the ideal, the fact, the fact becoming the ideal. All that is implied in meditation.

And also in meditation is implied, the meditator and the meditation. If there is any difficulty in understanding what the speaker is saying jump on him, please. Because it is a very complex business. And specially some of the Indian gurus have brought this word into America and made a lot of money out of it. They are multi-millionaires, I have met them. They are appalling beings, the are all out for money.

So to enquire into meditation, you have to enquire first not only measurement, but also this constant becoming something, psychologically. Human beings are violent, and the ideal to be in a state of non-violence, which is to become.

Q: Do you set goals for your meditation?

Krishnamurti: I am saying what is implied in the whole structure and the nature of meditation. It is not how to meditate but what is meditation, rather than how. I hope I am making myself clear. And also there is a question involved in that: who is meditating? And most of the systems of meditation, whether the Japanese, and the Hindus, and so on, Tibetan, there is always the controller and the controlled. Right? Are we meeting each other? So there is the controller controlling thought, to quieten the thought, to shape thought according to a purposeful direction. So there is the controller and the controlled. Who is the controller? Please, all this is implied in meditation, not merely to control one’s thought as is generally understood in meditation, whether it is Zen meditation, or the most complex forms of meditation which take place in India, and elsewhere, there is always the director, the entity that controls thought. So they have divided psychologically the thinker and the thought. So the thinker separates himself from the whole activity of thought, and therefore in meditation is implied the controller controlling thought so as to make thought quiet. That is the essence of meditation, to bring about a state of brain - I won’t use the mind for the moment - to make the brain quiet. I’ll explain a little more and go into that.

So there is a division between the controller and the controlled. Right? Who is the controller? Very few people have asked that question. They are all delighted to meditate, hoping to get somewhere - illumination, enlightenment and quietness of the brain, peace of mind and so on. But very, very few people have enquired: who is the controller? May we go on with that? The controller is also thought. The controller is the past, is the entity, or the movement of time as the past and measure. So there is the past who is the thinker, separate from the thought, and the thinker tries to control thought. Human beings have invented god - sorry, I hope you don’t mind. You won’t be shocked if I go into all this?

A: No, go ahead.

Krishnamurti: Human beings, out of their fear, invented god. And they tried to reach god, which is the ultimate principle, in India it is called Brahman, the ultimate principle. And meditation is to reach the ultimate. So meditation is really very, very complex, it is not just merely meditating for twenty minutes in the morning, twenty minutes in the afternoon, and twenty minutes in the evening - which is taking a siesta, not meditation at all. So if one wants to discover what is meditation one has to asKrishnamurti: why does one have to meditate? One realizes one’s brain is constantly chattering, constantly planning, designing - what it will do, what it has done, the past impinging itself on the present, it is everlasting chattering, chattering, whether the scientific chatter - sorry! - or ordinary daily life chatter, like a housewife chattering endlessly about something or other. So the brain is constantly in movement. Now the idea of meditation is to make the brain quiet, silent, completely attentive, and in that attention find that which is - perhaps you will object to this word ‘eternity’ - or something sacred. That is the intention of those who really have gone into this question. The speaker has gone into this for the last sixty years or more. He has discussed this question with the Zen pundits, with the Zen patriarches, with the Hindus and Tibetan, and all the rest of the gang. I hope you don’t mind my talking colloquially, do you?

And the speaker refutes all that kind of meditation because their idea of meditation is to achieve an end. The end being complete control of the brain so that there is no movement of thought. Because when the brain is still, deliberately disciplined, deliberately sought after, it is not silent. It is like achieving something, which is the action of desire. I don’t know if you follow all this. May I go on?

So one has to enquire also, if one is interested in all this, what is desire? Not suppress desire, as the monks and the Indian Sannyasis do, suppress desire, or identify desire with something higher - higher principle, higher image, if you are a Christian with Christ and so on. So one has to understand if one wants to find out what is meditation, one has to enquire into desire. All right, sirs?

J. Krishnamurti Los Alamos (USA) National Laboratory
2nd Colloquium 21st March 1984
'Creativity In Science'

Cette lumière en nous : La Vraie Méditation

Au cours de nombreuses années de discussions avec des interlocuteurs venus de tous les horizons de la société, comme au cours de causeries publiques qui ont drainé des foules d'auditeurs partout dans le monde, Krishnamurti n'a cessé de souligner la nécessité de rentrer en soi-même, de se connaître soi-même, si l'on veut pouvoir comprendre les racines profondes des conflits communs à l'individu et à la société - car " nous sommes le monde ", et c'est donc notre chaos personnel qui est à la source du désordre général. Les extraits de causeries inédites présentés ici illustrent la vision intensément lucide grâce à laquelle Krishnamurti a su explorer et faire découvrir à tous la source originelle de sa vraie liberté, de sa vraie sagesse, de sa vraie vertu. Une vision qui défie le temps. J. Krishnamurti (1895-1986) est un penseur très à part dans l'histoire des mouvements spirituels. A l'écart des normes, des conventions, des traditions, des doctrines, des églises, il a toujours obstinément refusé toute position d'autorité, laissant à chaque individu la liberté entière d'interpréter son message.



Tuesday, June 29, 2010

UNE PSYCHIATRIE SPIRITUELLE : DÉFI OU HÉRÉSIE ?

Expérience spirituelle et sentiment religieux

Nous sommes persuadés de vivre dans un monde de causalité, enchaîné dans des cycles sans fin de cause à effet. La naissance physique serait le début du monde, et la mort physique en serait sa fin. Or, tous les sages, saints et mystiques parlent d’un niveau différent de réalité.

Si l’on examine avec attention notre propre expérience, nous verrons que nous avons tous connus des instants de joie parfaite, ce sentiment d’être comblé, heureux, sans besoin, sans demande. Dans ces instants, nul besoin de penser au futur, nul besoin de se remémorer le passé. Le temps, à cet instant, a perdu sa réalité. Un sentiment d’intemporalité règne, dans lequel "moi", "mon" âge et "mon" histoire, sont devenus sans intérêt.

En examinant nos actes et comportements, nous allons voir qu'ils s'imposent à nous, plus que nous nous imposons à eux. Les actes se font, les comportements s'enchaînent, mais nous ne savons pas vraiment ce qui les régit.

Nous pouvons bien sûr dire que c'est le besoin et la nécessité, mais ces besoins et nécessités ne sont pas les mêmes à chaque instant et à chaque période de la vie.

En portant le regard sur la nature et le monde, derrière l'apparent chaos transparaît une intelligence. La vie semble intelligente. Elle fait pousser les plantes et les arbres à la place qui leur est adaptée. Elle unit et désunit les êtres au moment approprié.

La conscience de cette intelligence qui gouverne le monde et les êtres est à la base du fonctionnement de celui ou celle qu'on appelle le croyant : celui qui croit, qui pressent que la naissance et la mort ne sont pas l'unique réalité.

La spiritualité s'enracine ainsi dans l'expérience de l'intemporalité et de l'intelligence de l'univers.

Coupez une orange en deux. Voyez l'organisation parfaite que dessinent les trames du fruit. L'harmonie et la symétrie sautent aux yeux. Voyez l'union d'un ovule et d’un spermatozoïde. Regardez la manière dont le fœtus prend forme, s'anime, puis devient l'enfant qui jaillit à la vie.

Les religions ont bien tenté de mettre en forme l'expérience spirituelle, mais vouloir mettre en forme le sans-forme est une gageure risquée. Nous avons ainsi vu le pouvoir personnel tenter de s'approprier l'intelligence impersonnelle, et mener aux violences et incompréhensions qui sont encore légions dans l'humanité d'aujourd'hui.

La maturation humaine et ses crises

Des crises multiples jalonnent le parcours humain. Elles sont régies par l'attachement et le détachement : attachement de l'enfant à son environnement proche, attachement de l'adolescent à son contexte social, attachement de l'adulte à son confort et aux personnes aimées, attachement du vieillard au passé qu'il regrette. Chaque attachement verra, tôt ou tard, s'imposer une nécessité de détachement, qui se fait de manière plus ou moins brutale et douloureuse, selon les êtres et les périodes.

C'est comme si toute saisie imposait, tôt ou tard, un lâcher. Souvenons-nous de l'histoire du singe qui attrape la banane en passant sa main à travers la grille, mais ne peut ramener sa main à lui qu'en lâchant la banane, perdant ainsi l'objet convoité.

Finalement, nous ne sommes guère différents de ce macaque. Dès que quelque chose nous plaît, nous tentons de l'attraper, de le faire nôtre, mais vient un moment où un lâcher va s'imposer, nécessaire pour trouver un nouveau niveau de liberté.

Les crises peuvent ainsi être vues comme des lâcher-prise douloureux, pendant lequel l'objet aimé doit être abandonné. Mais il n'y pas toujours une claire vision de ce vers quoi tend ce lâcher-prise. Ce lâcher-prise est alors vécu comme une punition, une souffrance, et une lutte s'installe pour tenter de conserver les acquis. Ce n'est que lorsque la lutte s'épuise et vient mourir dans une douloureuse résignation, qu'une paix peut commencer à s'installer, et qui ne sera à nouveau perturbée que par l'émergence du désir d'un nouvel objet.

Les objets d'attachement ne sont pas toujours des situations socio-professionnelles ou des êtres chers. Ils peuvent être plus subtils, et prendre la forme d'une certaine image que j'ai de moi-même, image difficile à abandonner, car son abandon signifierait de quitter une identité que l'on chérit.

Par-delà les apparences

Cette question vient à l'esprit, lorsque nous constatons que les expériences successives vécues ressemblent étrangement à celles d'une mouche qui s'agite dans un verre, se cognant sans cesse contre d'invisibles parois. Une fatigue, une lassitude, un épuisement, sont souvent l'occasion d'un retour vers soi. Finalement, derrière tout ce cirque, qu'est-ce que je cherche ? Qu'est-ce que je désire vraiment ? Ce n'est pas une question à laquelle il peut être répondu à la hâte. Cette question nécessite une approche patiente, une interrogation sensible sur les motifs qui gèrent mes actes. Mon altruisme est-il vraiment une qualité digne de considération, ou bien un besoin caché de se sentir aimé ? Les cadeaux que j'offre sont-ils vraiment des cadeaux, ou bien des demandes qui se transformeront en colère ou en dépit si elles ne sont pas satisfaites ?
Observer ce qui sous-tend les actes et les comportements est un prémisse d'éveil de l'intelligence.

Les niveaux de réalité

Nous voyons ainsi qu'il existe plusieurs niveaux de réalité.

A un premier niveau, le monde que nous percevons nous apparaît parfaitement réel. Il semble consistant, dense et indéniable dans la réalité qu'il contient.

Cependant, si nous fermons les yeux et passons un moment à goûter le silence de l'esprit et la paix du cœur, ou, à défaut, à observer l'agitation et l'émotion, nous constatons que, pendant ce moment d'intériorisation, le monde qui nous entoure ne nous concerne plus : les proches, les lointains, les lieux et le reste sont comme mis entre parenthèses. Lorsque les yeux s'ouvrent à nouveau, avant que nous reprenions nos vieilles habitudes, nous pouvons profiter d'un moment pendant lequel le monde est vu à partir d'un point de vision différent. Les formes, les couleurs et les sons paraissent émerger dans un espace plus vaste, plus lumineux. Ils sont encore imprégnés par la paix ressentie l'instant d'avant.

Nous voyons ainsi que la manière dont nous percevons le monde est fonction de notre état intérieur. Lorsque nous sommes agités et contractés, nous ne voyons pas le même spectacle que lorsque nous sommes détendus et relâchés.

Les rêves nocturnes sont aussi riches d'enseignement. A l'instant du rêve, le monde perçu apparaît tout ce qu'il y a de plus réel et consistant. Le lion qui rentre dans la chambre est un lion, l'incendie qui envahit la maison est bien réel et donne chaud, les êtres aimés ou détestés rencontrés sont tout aussi attirants ou repoussants que ceux croisés dans la vie diurne. Et pourtant, à l'instant de la sortie du rêve, tout s'efface. Les personnages disparaissent, l'incendie n'est plus là, et le lion invisible ! Nous pouvons noter la même expérience lorsque nous pensons avec beaucoup d'émotion à un passé douloureux ou joyeux, que nous vivons comme une réalité, alors qu'il n'est pas présent. Et, de la même manière, lorsque nous pensons avec appréhension ou délectation à un futur proche ou lointain, qui n'a pas non plus de réalité en cet instant, en dehors de la pensée qui le crée.

Les illusions de l’esprit

La pensée est ainsi source d'illusion. Elle tend à nous faire prendre le rêve pour la réalité. Ce n'est pas tant la pensée par elle-même qui est en cause, que la tendance à confondre le contenu de la pensée avec la réalité qu'elle désigne, comme le reflet de la lune dans l'eau qui serait confondu avec la lune.
Lorsque nous portons attention au processus mental, nous allons constater qu'un personnage nommé moi est toujours au centre des préoccupations. Ce personnage est-il aussi réel qu'il le semble, ou bien est-il encore un fantôme créé par l'esprit ?

La racine du délire : prendre le faux pour le vrai

De ce point de vue, sommes-nous si différents du "délirant", qui est persuadé être au centre d'un complot, qui entend des voix multiples qui le harcèlent, ou qui se sent habité par les pouvoirs d'un dieu ?

Pouvons-nous vraiment nous dissocier de ce "fou", tout en continuant à prendre pour réel la pensée d'un passé qui n'existe plus et la pensée d'un futur qui n'existe pas encore ?

Si l'on écoute sans a priori le discours du "délirant", nous allons y voir une suite qui a sa logique, sa cohérence. Et derrière cet enchaînement de croyances et d'opinions, nous pouvons sentir la détresse d'une solitude douloureuse, la peur de l'abandon et la terreur de n'être rien.

Déception, désillusion et dépression

Dès qu'un objet désiré s'éloigne, naît un sentiment de résignation douloureuse, de dépression. La dépression est ainsi indissociable de l'idée de la perte.

Seul celui qui est rien n'a plus rien à perdre. Mais tant que nous sommes englués dans nos points de vue, opinions et habitudes, nous allons forcément souffrir du changement et de la contradiction.

De ce point de vue, la dépression est une initiation. Elle est l'occasion de prendre conscience de la vanité de nos projections et de l'habitude de chercher au dehors ce que l'on ne peut trouver qu'au dedans. Elle est donc une méditation forcée, imposant un changement de rythme pour s'approcher de ce que nous cherchons.

La peur et le moi

La peur est en effet en rapport avec un moi qui a peur : un moi qui cherche la sécurité et ne la trouve jamais, un moi qui désire le contrôle et ne l'atteint jamais, un moi qui désire ce qui est loin sans même connaître ce qui est près.

Prenons l'exemple d'une claustrophobie, cette peur d'être dans un lieu fermé, quel qu'en soit sa nature ; la peur d'être enfermé, cette sensation de restriction, d'étouffement ; ce sentiment de ne pas pouvoir bouger, ni avancer, ni reculer. Cela ne nous rappelle-t-il pas le désespoir de la mouche dans son verre ? Et si, au lieu de nous agiter, nous prenions le temps de nous poser. Voyant qu'il n'y a pas d'issue possible, est-il possible de s'asseoir, physiquement ou en nous-mêmes, et de respirer ? Nous allons voir alors que notre corps est tout contracté, tendu, agité, que notre souffle est court et haché. Si l'on prend un moment pour respirer, pour détendre ce corps apeuré, la sensation d'étouffement nous quitte. Le moi est comme une contraction. Plus il s'agite, plus il se rétrécit; plus il s'apaise, plus il se dilate. Lorsque le silence intérieur a été touché, ou plutôt qu'il nous a touchés, la peur peut nous quitter. C'est la méconnaissance du silence qui maintient la peur et la souffrance.

L'obsession et l'écueil de la discipline

L'obsédé lui-même n'échappe pas à la quête de perfection qui est en nous, la recherche du juste son, de l'acte qui clarifie sans imposer, qui exprime sans violence, et qui transforme sans attente. L'obsession de la propreté n'est que le reflet d'une conscience de l'impureté, culpabilité projetée et orgueil déformé. L'obsession de la maladie, la conséquence de l'illusion du temps. L'obsession de la perte, le reflet du mirage de l'incomplétude, nous faisant croire que nous ne sommes pas déjà accomplis, et que ce que nous cherchons doit être acquis et saisi pour devenir nôtre.

L'obsession est, en fait, une forme particulière que prend la peur, lorsqu'elle passe à travers une personnalité qui fixe et retient. Elle est une déviance de l'esprit discipliné, qui s'accroche à une sécurité avec le désespoir du naufragé agrippé à son radeau. La sécurité recherchée peut être physique, émotionnelle ou mentale, mais conduit dans tous les cas à un comportement rigidifié, ritualisé et mécanisé. Le rite devient conditionnement. Il est coupé de la sensibilité et de la conscience qui, dans un autre contexte, lui donnerait sa valeur. En arrière-plan de cette peur sclérosée, existe une impossibilité à accepter, à lâcher et à abandonner le contrôle. Cette quête sans fin de sécurité est une impasse, car nulle sécurité ne peut être trouvée sur le plan de la manifestation. C'est paradoxalement dans l'abandon de la recherche de sécurité que se trouve une sécurité liée à l'aptitude à faire face à l'inconnu et à toute chose que la vie propose. Cette sécurité n'est pas de nature matérielle. Elle s'enracine dans la non-attente et dans le vécu propre à l'immuabilité de l'être.

Cette quête de perfection n'épargne pas la pratique spirituelle qui peut également devenir obsédante, s'accompagnant d'une dépendance au rituel et d'une peur intense de l'abandonner. Dans ce cas, l'obsession n'est pas dirigée vers un objet matériel, mais vers une finalité spirituelle ressentie comme un but ultime à atteindre.

Dans tous les cas, l'obsession est nourrie par la croyance que ce que je cherche est en dehors de moi-même, idéal vers lequel toutes les forces de la personnalité sont orientées. Lorsque la conscience s'éveille que je suis ce que je cherche, les efforts tendus vers le lointain se retournent vers l'instant lui-même, qui apparaît contenir la totalité des objets désirés. La paix peut alors s'installer, nul objet ne pouvant nous apporter ce qui est déjà là.

Soigner l'autre ou se soigner soi-même ?

Alors, dans tout cela, où en est la psychiatrie ?

La psychiatrie est sensée étudier les maladies mentales. Mais peut-on étudier les maladies mentales, sans d'abord étudier notre propre mental ? Peut-on soigner la dépression de l'autre sans avoir fait face à notre propre chagrin, à la tristesse de ne pas pouvoir garder ce qui ne peut l'être ?

A leur manière, les psychanalystes avaient compris qu'il est inutile de vouloir soigner l'autre sans avoir commencé par nous-mêmes. Ils ont donc pris le temps d'explorer ce moi-même, mais pas forcément en allant jusqu'au bout de ce personnage, et de ce qui reste lorsque la pensée « moi » disparaît de l'esprit.

Le médicament cache-misère

Le médicament est, pourrait-on dire, un cache misère. Il vient masquer la sensation de peur et de souffrance, pour quelques heures, et la remplacer par un sentiment de bien-être et de confort momentané.
Lorsque l'on entend parler des services de psychiatrie avant l'introduction des neuroleptiques, dans les années 50, on peut comprendre l'engouement pour ces remèdes qui calmaient en quelques minutes des agitations qui nécessitaient des mois de contention avant de s'apaiser, s'ils s'apaisaient jamais.

Depuis un demi-siècle, on a donc assisté à une ruée sur la neuro-chimie, et les possibilités de corriger les sentiments, sensations et pensées par le biais de molécules diverses. On en revient quelque peu. Les contraintes économiques, les effets secondaires parfois majeurs, et le sentiment d'aliénation au remède-roi, amènent une réflexion sur l'usage modéré des psychotropes, et une recherche de moyens non médicamenteux pour soulager la détresse humaine.

La méditation, alternative thérapeutique ou nouvelle illusion ?

Le méditant qui passe des heures innombrables à contempler le silence de la contemplation a épuisé les autres solutions. Il s'est déjà heurté à l'impasse de la psychologie et de la psychiatrie, et ne croit plus que le remède à la souffrance est dans le passé ou dans une pilule rédemptrice. Par dépit ou par nécessité, il en vient à la conclusion que ce qu'il cherche est en lui, et que rien d'extérieur ne pourra venir combler son attente. Il oriente donc son regard vers ce qui lui est le plus proche, et abandonne la croyance de chercher au loin ce qui est au près. Comme le chercheur qui cherche partout le trésor pour s'apercevoir qu'il était assis dessus ! Mais le méditant n'est pas pour autant à l'abri des mirages créés par son propre esprit. Il peut devenir esclave de sa pratique, si elle devient mécanisée, perdant ainsi sa substance et la grâce qui l'habite. Son désir d'atteindre ce qu'il cherche peut ainsi devenir un obstacle à être ce qu'il est.

Où s'unissent sagesse et psychiatrie

Peut-on donc imaginer une psychiatrie qui ferait de l'éveil à l'intelligence et à l'amour sa priorité ? Il est en effet paradoxal de voir que les mots "amour", "joie", "paix" et "liberté", sont absents des ouvrages de psychiatrie qui enseignent les futurs soignants.

Le « malade psychiatrique » est-il si différent de nous, pour ne pas avoir besoin d'apprendre à aimer et à goûter à la même paix que celle que nous recherchons nous-mêmes ?

Dans cette quête chaotique de la réalité de ce que nous sommes, il paraît bien sûr difficile de refuser au « patient » l'usage d'un psychotrope qui va momentanément apaiser sa souffrance, comme il serait difficile de refuser au « mourant » l'usage d'un antalgique qui va diminuer sa douleur. Mais apaiser la souffrance ne signifie pas rendre inconscient. Le médicament doit être utilisé avec la délicatesse de la mère qui nourrit son enfant : trop rend malade, pas assez ne comble pas le manque.

C'est en devenant pleinement sensible que le psychiatre pourra utiliser avec justesse les remèdes proposés, tout en sachant que le vrai remède ne gît pas dans une pilule, mais dans celui qui la prend.
Le psychiatre et son patient ne sont ainsi pas très différents de l'aspirant à la sagesse qui recherche l'accomplissement dans une vie intégrée et la conscience d'une joie sans cause. Ils sont deux amis solidaires, qui partagent un temps ensemble, et contribuent à leur bonheur respectif : celui d'être écouté pour le patient en mal d'amour, et celui d'être respecté pour le psychiatre en mal de reconnaissance. Lorsque la sensibilité et le pouvoir s'épousent, l'amour devient force de conviction et de transformation.
Prions donc pour l'avènement d'une psychiatrie qui replace la crise psychique dans un cadre plus vaste, celui de l'homme à la recherche de lui-même, d'un accomplissement inhérent à toute expression de la vie.

Jean-Marc MANTEL

Après avoir terminé ses études de médecine et de psychiatrie, Jean-Marc Mantel a été attiré par les enseignements métaphysiques d'Alice Bailey, dans les années 1985-86, avant d'être touché et radicalement transformé par les enseignements de sagesse non-duelle tels qu'ils ont été proposés notamment par Krishnamurti, Ramana Maharshi, et Jean Klein. C'est auprès de ce dernier qu'il a étudié la connaissance de soi, le yoga et la méditation.

Lorsque ces approches ont commencé à porter leurs fruits, il a ressenti le besoin, vers 1992, d'appliquer cette compréhension à son domaine de compétence professionnelle, la psychiatrie et la santé mentale. A travers deux associations qui se sont succédées entre 1994 et 2002, l'association Spiramed, puis l'association Essence, il a oeuvré à la mise en place d'une vaste réflexion sur les liens unissant la santé mentale et la spiritualité. Il a ainsi organisé une trentaine de congrès sur ces thèmes, tant en France qu'à l'étranger. Ces congrès étaient des opportunités de rencontre, d'échange et de compréhension mutuelle entre des êtres et des courants de pensée différents. Plusieurs ouvrages ont été tirés de ces congrès. D'autres ouvrages sont en préparation.

Jean-Marc Mantel réside à Vence, dans les Alpes-Maritimes, où il mène une vie contemplative, entourée par la tendresse de son épouse bien-aimée Marion, des affectueuses chiennes labrador Tara et Malka, de la gracieuse chatte Maya, et des deux oiseaux charmeurs, Garuda et Shanti.



Un dialogue entre un chercheur de vérité et un psychiatre unique en son genre ! Ce livre est une exploration de la nature profonde de l'être, libre des distorsions propres aux cultures et religions. C'est un véritable outil de travail, un "dictionnaire spirituel" qui permet d'accéder à la connaissance de Soi.

Monday, June 14, 2010

Les Protocoles de « l’Anonyme »

par Israël Shamir

Dans cet essai, nous nous efforcerons de trouver pourquoi les Protocoles refusent obstinément de se coucher et de mourir.
Nous nous garderons soigneusement d’aborder la fameuse question : « Qui les a écrits ? »
Leur réel auteur reste inconnu, et il est difficile d’imaginer cette personne, car les Protocoles sont un palimpseste littéraire. Dans les temps anciens, un scribe écrivait généralement son texte sur un morceau de vieux parchemin, et pour ce faire, il effaçait, auparavant, un texte déjà écrit sur ce même parchemin. L’effacement était rarement total, et un lecteur pouvait se voir gratifier d’une version intégrale de l’Ane d’Or (texte « osé » d’Apulée, ndt) lorsqu’il voulait lire les Fioretti de Saint-François d’Assise. Dans les Protocoles, il y a des couches de vieilles histoires, et même d’histoires très anciennes, et cela interdit toute quête raisonnable d’en trouver l’auteur avec quelque certitude.

En réalité, si nous savions que les Protocoles comportent effectivement un brouillon des écrits de certaines élites juives, nous tiendrons notre réponse. Mais les Protocoles ont été publiés à la fin du dix-neuvième, sous la forme de texte "découvert", comme un texte apocryphe. Ils sont devenus un énorme best seller et le sont toujours aujourd'hui, bien que dans certains pays (en particulier en Union Soviétique) le simple fait d'en posséder une copie était passible de la peine de mort.

L’auteur anonyme des Protocoles décrit un plan magistral pour une vaste restructuration de la société, créant une nouvelle oligarchie et entraînant l’assujettissement de millions d’êtres humains. Le résultat final n’est pas très éloigné de celui décrit dans un texte contemporain, The Iron Heel (le Talon d’Acier), de Jack London, le grand radical d’Oakland (Californie). Toutefois, London envisageait un grand coup, très dur, tandis que la manière dont Anonyme (l’auteur des Protocoles, dans la suite du texte, ndt) voit l’assujettissement s’accomplir nous entraîne dans des manipulations à la Machiavel et à un contrôle des âmes à la mode orwellienne de ‘1984’. (L’hommage rendu par Orwell aux Protocoles est beaucoup plus frappant qu’on ne le relève généralement).

La difficulté des Protocoles réside dans une dissonance étrange entre leur langage imprudent et leur profonde pensée religieuse et sociale. « C’est un compte rendu parodique d’un plan satanique, subtil et très bien conçu », écrit le Prix Nobel de littérature Alexandre Soljénitsyne dans son analyse des Protocoles, écrite en 1966 et publiée seulement en 2001 :

« Les Protocoles exposent le plan d’un (nouveau) système social. Son dessein se situe bien au-dessus des capacités d’une âme ordinaire, y compris celle de son auteur. Il s’agit d’un processus dynamique en deux étapes, de déstabilisation, d’augmentation des libertés et du libéralisme, qui trouve son apogée dans un cataclysme social, au premier stade ; la seconde étape voyant se mettre en place une nouvelle hiérarchisation de la société. Ce qui est décrit est plus complexe qu’une bombe nucléaire. Il pourrait s’agir d’un plan volé et gauchi, formé par un esprit de génie. Son style putride de brochure antisémite cauteleuse en obscurci(rai)t (intentionnellement) la grande force de pensée et la vision pénétrante ».

Soljénitsyne est conscient des failles des Protocoles. « Leur style est celui d’un pamphlet dégueulasse, la puissante ligne de pensée est brisée, fragmentée, mêlée d’incantations nauséabondes et de grossières maladresses psychologiques. Le système qui y est décrit n’est pas nécessairement relatif aux Juifs ; il pourrait s’agir d’un système purement maçonnique, ou autre ; en même temps, son orientation fortement antisémite n’est nullement une composante fondamentale du projet [qui y est décrit] ».

Soljenitsyne procède à une expérimentation textuelle : il supprime les mots « Juifs », « Goyim » et « conspiration », et il aboutit à nombre d’idées dérangeantes. Il conclut : « Le texte démontre une clarté de vision impressionnante en ce qui concerne les deux systèmes sociétaux : le système occidental et le système soviétique. Si un puissant penseur, en 1901, pouvait prédire le développement de l’Occident avec quelque vraisemblance, comment aurait-il pu entrevoir le futur soviétique ? »

Soljenitsyne a bravé le régime soviétique, il a osé écrire et publier son mammouth, l’Archipel du Goulag, implacable condamnation de la répression soviétique, et pourtant, même lui, il a calé : il n’a pas publié sa recherche sur les Protocoles. Il a demandé que cette étude ne soit publiée qu’après sa mort. C’est contre sa volonté qu’elle fut imprimée en un nombre très réduit d’exemplaires, en 2001. Suivons le développement de la pensée de Soljenitsyne et plongeons le regard dans la boule de cristal des Protocoles, tout en écartant pour le moment leur « ligne juive » et en nous concentrant sur l’idée de la création d’un nouveau système, pas nécessairement dominé par les Juifs, donc. Le plan-maître commence par la reconstruction de l’esprit humain :

« Les esprits des gens doivent être détournés (de la contemplation) vers l’industrie et le commerce : dès lors, (les gens) n’auront plus le temps de penser. Les gens se consumeront à la poursuite de l’argent. Ce sera une poursuite vaine, car nous bâtirons l’industrie sur une base spéculative : les richesses tirées de la terre par l’industrie glisseront entre les mains des travailleurs et des industriels et se retrouveront entre celles des financiers.

« La lutte – intensifiée – pour la survie et la supériorité, accompagnée de crises et de chocs, créera des communautés froides et sans cœur, avec une forte aversion envers la religion. Leur seul guide sera celui de Mammon, auquel ils voueront un véritable culte ».

Le caractère visionnaire d’Anonyme est époustouflant : aux jours de la publication des Protocoles, l’Homme était encore la mesure des choses, et il faudra que bien quatre-vingts ans se passent, avant que Milton Friedman et son Ecole de Chicago n’intronisent les dieux Marché et Profit en seuls flambeaux guidant le Monde.

L’outil pour l’asservissement des esprits, ce sont les médias, écrit l’Anonyme. « Il est une puissante force qui crée le mouvement de la pensée, dans le peuple : cette force, ce sont les journaux. C’est dans les journaux que le triomphe de la liberté de parole trouve son incarnation. Au moyen de la Presse nous avons conquis le pouvoir d’influencer les esprits tout en demeurant inaperçus. Nous éradiquerons de la mémoire des Hommes les faits historiques dont nous ne désirons pas qu’ils les connaissent, et nous ne laisserons perdurer que ceux qui nous conviennent. »

Des années s’écouleront, depuis la publication (de ces Protocoles) avant qu’un petit groupe de personnes qui contrôlent notre discours tout en demeurant dans l’ombre, les seigneurs des médias, n’émergent de l’ombre. La libre contestation des barons des médias, Berlusconi et Black, Maxwell et Suzberger, Gusinsky et Zuckerman, est bannie des médias qu’ils possèdent, tandis que leur affinité coopérative demeure impressionnante. La liberté de parole survit là où des médias indépendants (des magnats des médias) existent encore. Il y a cent ans, cette force était bien plus faible que de nos jours, et il est étonnant que l’Anonyme en ait reconnu les virtualités.

Un siècle avant l’avènement de la Banque Mondiale et du Fonds Monétaire International, les Protocoles notaient que les prêts sont le meilleur moyen pour déposséder des pays de leurs richesses ; que les marchés financiers, avec leurs multiples produits dérivés, ponctionnent la richesse et l’accumulent entre les mains des prêtres de Mammon ; que le gain (« les forces du marché ») est la seule mesure du succès de toute stratégie. Oui, l’intérêt des Protocoles n’a pas disparu : en effet, le plan qui y est décrit, consistant à instaurer un régime oligarchique (non nécessairement juif) est en train d’être mis en vigueur, en temps réel ; cela s’appelle le Nouvel Ordre Mondial.

On qualifie parfois les Protocoles de pamphlet d’extrême-droite et anti-utopique. Toutefois, il expose largement le discours de gauche autant que le discours de droite. Un écrivain de droite bénirait le renforcement de la Loi et de l’Ordre, mais la prédiction suivante de l’Anonyme pourrait être écrite, de nos jours, par un libertaire de gauche, comme par exemple Noam Chomsky, témoin de l’actuelle transition vers le Nouvel Ordre Mondial : « La course aux armements et le renforcement des forces répressives amèneront à une société dans laquelle coexisteront les masses – énormes – du prolétariat, quelques millionnaires et beaucoup de policiers et de militaires. »

Toutefois, la pensée la plus pénétrante de l’Anonyme se situe dans la sphère spirituelle :

« La Liberté pourrait être inoffensive et trouver sa place dans l’économie de l’Etat sans porter atteinte au bien-être du peuple, pour peu qu’elle reste cantonnée à la foi fondamentale en Dieu, bien supérieure et excluant la foi en la Fraternité humaine. C’est la raison pour laquelle il est indispensable, pour nous, de saper toute foi, d’extirper des esprits des gens le principe divin lui-même et l’Esprit, et de le remplacer par les calculs arithmétiques et les besoins matériels. »

L’Anonyme établit un rapport entre la Foi et l’idée de Fraternité humaine. Saper la Foi ruine la Fraternité. La Liberté, d’état d’esprit désirable et beau, se mue en tendance destructrice lorsqu’elle est déconnectée de la Foi. En lieu et place de la Foi, l’Ennemi propose l’adoration de Mammon.

Lorsque nous lisons, aujourd’hui, les philippiques de l’International Herald Tribune (16.11.2002) contre les prêtres et les sœurs homosexuels, on ne peut que se souvenir de ce passage des Protocoles : « Nous avons pris soin de discréditer les prélats catholiques et de ruiner leur mission, qui pourrait faire obstacle à la réalisation de nos plans. De jour en jour, leur influence sur les gens du peuple tombe plus bas. L’effondrement final de la chrétienté est proche. »

Nous sommes témoins de la mise en application de ce plan : la religion est déconsidérée, le néolibéralisme (culte de Mammon) la remplace, tandis qu’avec la déstabilisation du socialisme, nous assistons à l’effondrement d’une tentative courageuse de fraternité non fondée sur la religion, qui laisse un énorme vide idéologique.

Cette observation a fait pousser les hauts cris à certains de mes lecteurs : « Le véritable planificateur du plan-Maître est notre vieil ennemi, le Prince de l’Univers (Satan, ndt), dont le but ultime est l’élimination de la Présence Divine et la perdition de l’Homme ». C’est vrai, mais le Prince de l’Univers ne peut agir directement. Il a besoin d’agents libres de leurs mouvements, qui choisissent d’accepter son projet. Ces agents indispensables et leurs alliés probables, d’après le pamphlet, sont les capitalistes financiers et les Maîtres du Discours, qui en sont l’’Esprit’.

Ils promeuvent aux plus hautes destinées des « politiciens qui, en cas de désobéissance à nos instructions, devront faire face à des charges criminelles ou devront disparaître. Nous arrangerons les élections en faveur de candidats dont le passé est entaché de sombres méfaits, encore cachés. Ceux-là seront pour nous des agents à la fidélité à toute épreuve, par crainte d’être démasqués. » Voilà qui nous semble familier, à nous, les contemporains du Watergate et de Monika Lewinsky…

« L’aristocratie tirait profit du travail des ouvriers, et elle était intéressée à les voir bien nourris, en bonne santé, et forts. Le peuple a anéanti l’aristocratie, et il est tombé entre les griffes d’impitoyables scélérats brasseurs de fric. »

En des termes moins émotionnels, la nouvelle bourgeoisie a écarté les vieilles élites, avec le soutien du peuple, tout en promettant la liberté et en critiquant leurs privilèges. Après sa victoire, elle s’arrogea les privilèges (de l’aristocratie) pour elle-même, et s’avéra aussi mauvaise (sinon pire) pour le peuple que les seigneurs féodaux. Marx fit allusion à cette plainte émanant de l’aristocratie dans l’un des nombreux addenda au Manifeste Communiste, en la considérant futile, bien que partiellement justifiée. Toutefois, il ne vécut pas assez longtemps pour assister à un processus similaire, qui se produisit durant les derniers jours de l’Union soviétique. La nouvelle bourgeoisie naissante prit le contrôle du discours, convainquit le peuple de la nécessité de combattre les privilèges de la Nomenklatura, en vue de la liberté et de l’égalité. Après sa victoire, elle s’arrogea ces privilèges, qu’elle multiplia, rejetant aux oubliettes égalité et liberté.

Les Protocoles prédisent l’apogée de la Nouvelle Bourgeoisie – l’apogée des adorateurs de Mammon, partisans de la mondialisation, viscéralement hostiles aux Anciennes Elites, à l’Esprit, à la religion, aux gens ordinaires. Très longtemps, ils furent les moteurs de la gauche, des mouvements aspirant à la démocratie : jusqu’à ce que leur objectif soit atteint - après quoi, ils négocièrent leur grand virage en épingle à cheveux, direction : l’oligarchie.

Le gradient de ce virage radical peut se mesurer à l’aune des taux d’imposition sur les successions et la propriété foncière en Angleterre : tant que la bourgeoisie financière et les Maîtres du Discours combattaient les anciennes classes dirigeantes, les taux étaient élevés – ils finirent par en démanteler le pouvoir ; après la victoire (de la bourgeoisie), les taux baissèrent, permettant la consolidation des nouvelles classes dirigeantes. Il est fort possible que l’Ordre Ancien ait eu lui aussi quelques avantages. C’est une quasi certitude : la transition à partir de l’Ordre Ancien aurait pu être différente si les gens du peuple avaient eu conscience des intentions de l’ennemi. Mais le cours de l’histoire ne saurait être inversé, et il est complètement inutile de rêver au retour des bons et généreux seigneurs et des chefs de parti dévoués.

Ainsi, on le voit, les Protocoles (expurgés de toute référence aux Juifs et aux conspirations) sont utiles, en ceci qu’ils décrivent le plan du Nouvel Ordre Mondial, aidant ses adversaires à tracer une stratégie défensive contre les desseins de l’Ennemi. Mais les références aux Juifs n’en constituent pas moins une partie non négligeable - et donc importante – de ce texte.

Les Juifs et les Protocoles

Les Protocoles identifient la force agissante du Nouvel Ordre Mondial à un groupe puissant de dirigeants Juifs extrêmement chauvins, manipulateurs et dominateurs. Ces dirigeants – selon les Protocoles toujours – méprisent les membres ordinaires de la communauté [juive] ; ils se servent de l’antisémitisme comme d’un moyen qui leur permet de conserver en esclavage leurs « frères mineurs », les gens du peuple, d’origine juive. Les dirigeants (juifs) sont décrits comme des psychopathes détestant les goyim, voués à la destruction de la culture et des traditions des autres nations, tout en préservant soigneusement les leurs propres. Leur objectif est de créer un gouvernement mondial leur permettant d'instaurer un monde homogénéisé et globalisé.

Leurs objectifs et intentions sont exprimés en des termes extrêmement antithétiques et péjoratifs. Soljénitisine en conclut qu’aucune personne sensée ne présenterait ses idées favorites d’une manière aussi avilissante et aussi vouée à l’échec. « Nous extrayons l’or de leur sang et de leurs larmes », « notre pouvoir est fondé sur la faim des travailleurs », « nos instruments humains sont les révolutionnaires », « les esprits grossiers des Goyim » sont, pour Soljénitsine, des propos assignés aux Juifs par leurs ennemis. Un Juif préfèrerait exprimer de telles idées de manière biaisée, pensait-il.

Cet argument ne tient pas la route. Certaines personnes, certes, s’expriment indirectement, mais d’autres sont très directes, dans leurs propos. Un Arménien de Bakou, la capitale de l’Azerbaïdjan, m’avait dit il y a bien longtemps – c’était en 1988 – « Les Azéris sont nos bestiaux ; sans notre intelligence, à nous les Arméniens, leur pays s’effondrerait en l’espace de quelques jours – ce ne sont que des ânes bâtés ». (Quelques mois plus tard, une explosion de violence des indigènes azéris chassa d’Azerbaïdjan les Arméniens – tellement intelligents – et, depuis lors, les Azéris s’en tirent remarquablement bien tout seuls : merci pour eux !) David Ben Gourion, le premier dirigeant de l’Etat juif, avait frappé du coin de son indicible arrogance une maxime du même acabit : « Ce que disent les Goyim, qui s’en préoccupe ? Seul importe ce que les Juifs font ! » Cette phrase, on la dirait directement extraite des Protocoles des Sages de Sion…

Les Protocoles font dire aux Sages : « Chaque victime juive, aux yeux de Dieu, vaut un millier de Goyim ». Cette phrase, quintessence de l’arrogance, n’est pas la vaine invention d’un antisémite. Deux ministres du gouvernement Sharon, Uri Landau et Ivet Lieberman, ont demandé qu’un millier de goyim palestiniens soient tués pour chaque victime juive. Un extrémiste juif, lors d’une manifestation pour la reconstruction du Temple Juif sur le Mont du Temple (le 18 novembre dernier) a appelé chaque Juif à tuer un millier de Goyim palestiniens. Apparemment, certaines idées des Protocoles ne semblent pas étrangères à certains Juifs…

Le regretté penseur israélien Israël Shahak et l’écrivain juif américain Norton Mezvinsky citent, dans leur ouvrage commun Jewish Fundamentalism in Israël [6] une pléthore de propos de rabbins qui ne dépareraient pas les Protocoles. « La différence entre une âme juive et les âmes de non-Juifs est plus grande et plus profonde que celle qui existe entre l’âme humaine et celle des bestiaux ». Shahak et Mezvinsky ont montré que la haine des Juifs chauvins n’établit pas de distinguo entre Palestiniens, Arabes et Goyim en général. En d’autres termes, tout ce qui a pu arriver aux Palestiniens peut très bien arriver demain à toute communauté de Gentils qui viendrait à se trouver en travers du chemin des Juifs.

En fait, si les Protocoles n’avaient aucun lien avec la réalité, ils n’auraient pas la popularité qui est la leur. Les Juifs sont suffisamment puissants pour rêver de domination, et certains le font. Apparemment, certaines idées juives ont trouvé place dans ce texte. D’autres pensées sont attribuées aux Juifs sur la base du « cui bono » [= « à qui profite le crime ? », ndt].

L’idée sans doute la moins acceptable des Protocoles est la supposition qu’une conspiration extrêmement ancienne de Juifs a pour but de s’emparer du pouvoir sur le monde entier. Une opinion philosémite extrême dénie aux Juifs leur capacité à agir ensemble et les présente comme des individus très sur leur quant-à-soi, qui ne s’unissent que pour prier. Cette opinion n’est pas celle des Juifs, et elle contredit le sens commun.

Soljénitsine ne croit pas à l’existence des Sages de Sion, bien que « le rassemblement et la coordination d’activités juives en vue de leur promotion ait pu amener de nombreux auteurs (à commencer par Cicéron) à imaginer qu’il puisse exister un centre unique de commandement qui coordonne leurs offensives. » « Sans un tel centre mondial, sans conspiration, les Juifs se comprennent entre eux, et ils sont capables de coordonner leurs actions. »

Les Juifs sont certes parfaitement capables de coordonner leurs actions, mais je doute que des êtres humains, qu’ils soient juifs ou anglais, russes ou chinois, soient capables de former des plans à l’échelle mondiale valables durant plusieurs siècles et sur plusieurs continents. Personne n’a jamais pu prouver qu’un tel complot existât. Généralement, les « antisémites » (les gens qui mettent en doute, ou dénient, la bienveillance intrinsèque des Juifs vis-à-vis de la société des Gentils) plaident en faveur de l’authenticité des Protocoles, comme le fit Henry Ford. Ce roi de l’automobile a en effet déclaré : « le seul jugement que je porterai, sur les Protocoles, c’est qu’ils s’appliquent parfaitement à ce qui est en train de se passer. » En effet, « ils collent point pour point à la réalité », s’exclama quant à lui, Victor Marsden, traducteur des Protocoles du russe vers l’anglais…

Toutefois, cela ne prouve en rien qu’un quelconque complot juif existe bien. Nous pouvons parvenir aux mêmes résultats en écartant radicalement l’interprétation par le complot, en appliquant le concept d’intérêt propre à la communauté juive existante, telle qu’elle a été remarquablement décrite par Shahak-Mezvinsky. Nous allons démontrer que le concept de la Main Cachée ou des Sages de Sion est superflu et inutile.

La communauté juive traditionnelle avait une structure de « pyramide renversée », d’après l’expression même des théoriciens sionistes : elle comportait beaucoup de gens aisés, cultivés et dirigeants, et très peu d’ouvriers. Cela ne surprendra pas, si l’on sait que les sionistes considèrent, artificiellement, que les Juifs sont divorcés de la société dans laquelle ils vivent. La « pyramide inversée » des Juifs ne pouvait pas exister sans une pyramide, bien à l’endroit sur sa base, quant à elle, des Gentils des classes inférieures. Les Juifs sont en compétition avec les élites indigènes des sociétés des Gentils, pour l’acquisition du droit à exploiter les travailleurs et les paysans Gentils. Le modus operandi des deux compétiteurs diffère. Tandis que les élites indigènes partageaient certaines valeurs avec leurs classes inférieures et garantissaient généralement une certaine mobilité permettant l’ascension sociale, la communauté juive avait sa propre structure et ses propres valeurs.

Economiquement, elle était en faveur de l’exploitation capitaliste ou pré-capitaliste des indigènes, tandis qu’idéologiquement la communauté déclarait sa loyauté à ses propres dirigeants, le rejet d’une commune humanité avec les indigènes, un ethnocentrisme extrême, un sentiment de supériorité raciale et religieuse sur les indigènes. Il s’agissait d’une communauté marginale, ne contractant aucun lien, ni de mariage, ni d’amitié, avec les autochtones. En tant que communauté marginale, les Juifs étaient émancipés des considérations (morales), se perdant dans la nuit des temps, qui pouvaient être celles des autochtones.

Ainsi, par exemple, la communauté juive d’Ukraine, au dix-septième siècle, représentait une cohorte de collecteurs d’impôts sur les fermes et de financiers. Ils extorquaient à chaque autochtone SIX fois plus de taxes et d’intérêts que ne le faisait leur propriétaire gentil, a écrit un historien juif ukrainien éminent, Saul Borovoy, dans un ouvrage paru récemment à Jérusalem. Les communautés juives, au Maghreb, soutenait le pouvoir colonial contre leurs voisins gentils, etc. Leurs traditions interdisaient toutes relations normales avec les autochtones.

Supposons maintenant qu’une communauté ainsi faite œuvre dans ses seuls intérêts égoïstes. Oublions un instant le complot, oublions les Anciens de Sion, sages ou non. Supposons (ce qui est tout à fait concevable) que le seul but de la communauté est de promouvoir son propre bien-être. Pour un groupe marginal, cela signifie élargir autant que faire se peut le fossé qui en sépare les membres de la population autochtone, tout en minimisant les effets potentiellement dévastateurs d’un retour de manivelle.

Le groupe va, naturellement, dans son intérêt propre, soutenir tout mouvement dirigé contre les élites indigènes, qu’il ait été à l’initiative du roi (comme le firent les Juifs, avant la Révolution française), ou par les classes défavorisées en révolte. Ce soutien ne découlera aucunement de l’amour des Juifs pour la démocratie ou de leur nature révoltée, mais bien de leur désir d’améliorer leur propre situation. Une situation idéale serait créée par le massacre ou l’expulsion des élites autochtones, car les membres de la communauté pourraient s’emparer de leurs situations et de leur pouvoir. C’est effectivement ce qui s’est passé dans la Russie soviétique et dans la Hongrie soviétique à la suite de la Première guerre mondiale. Le massacre et l’exil des élites nationales libérèrent les positions de pouvoir et d’influence, les rendant accessibles aux Juifs, en compétition pour ces positions sociales.

L’intérêt explique l’engagement des Juifs dans la redoutable Tchéka, service soviétique de sécurité. Jusqu’en 1937, les Juifs occupèrent les fonctions dirigeantes dans cet ancêtre du KGB, tandis que des millions de Russes perdaient la vie ou leur liberté (du fait de leurs agissements). Objectivement, ces tortionnaires « libéraient » des places – et des appartements - pour leurs coreligionnaires Juifs. Après le massacre et l’exil des élites russes, les Juifs étaient prêts pour l’égalité, car le fils d’un rabbin pouvait aisément entrer en compétition avec un fils d’ouvrier ou de paysan russe, alors qu’il n’aurait sans doute pas été capable de le faire avec un fils (éduqué) de l’aristocratie russe.

De la même manière, les Juifs garantirent une égalité limitée aux Palestiniens jusqu’en 1966, après avoir confisqué jusqu’à 90 % des terres des indigènes et avoir expulsé plus de 90 % d’entre eux. Aujourd’hui, les colons promettent d’accorder l’égalité au reste des Palestiniens, après qu’ils en auront expulsé la majorité encore plus loin. Etant donné le soutien énorme dont jouit Israël, il n’y a aucune raison de supposer que la manière d’opérer des Juifs en Israël soit intrinsèquement différente des intentions des Juifs ailleurs dans le monde.

Soljénitsine écrit : « Les officiers exécutés (durant la Révolution) étaient Russes, comme étaient Russes les nobles, les prêtres, les moines, les députés - assassinés. Dans les années 1920, les ingénieurs et les savants d’avant la Révolution furent exilés ou tués. Ils étaient Russes : des Juifs prirent leur place. Dans le meilleur Institut Psychiatrique de Moscou, les membres dirigeants furent exilés ou arrêtés – leurs places furent prises par des Juifs. Des médecins juifs influents bloquèrent l’avancement de la carrière de chercheurs russes en sciences médicales. Les meilleurs éléments des élites intellectuelles et artistiques du peuple russe furent assassinés, tandis que les Juifs croissaient et embellissaient, dans ces années terribles (pour les Russes…) ».

La nouvelle élite juive ne s’identifia pas totalement à la Russie ; elle poursuivi une politique propre. Cela eut un effet décisif en 1991, lorsque plus de 50 % des Juifs (à opposer à tout juste 13 % des Russes) soutinrent le coup d’Etat pro-occidental du Président Boris Eltsine. En 1995, 81 % des Juifs votèrent pour des partis pro-occidentaux, et seulement 3 % pour les Communistes (à opposer à 46 % des Russes), d’après l’ouvrage d’une sociologue juive, le Dr. Ryvkina, Jews in Post-Soviet Russia (1996).

Dans une Amérique en expansion constante, les Juifs n’eurent pas besoin de tuer ou de supplanter les élites autochtones ; ils en devinrent une composante importante, contrôlant le discours et conquérant une puissance financière considérable. Ils ne s’identifient toujours pas avec l’Amérique goy : chaque année, ils forcent le Congrès et l’Administration à envoyer cinq milliards de dollars à leur rejeton israélien, et ils s’efforcent de pousser l’Amérique, aujourd’hui, à faire leur guerre à l’Irak, à leur place. Ils se retiennent (pour eux, c’est difficile, mais ils le faut) d’exercer une quelconque discrimination à l’égard des autres Américains, car s’ils le faisaient, ils risqueraient de ne pas pouvoir conquérir les 60 % des médias qui ne sont pas encore entre leurs mains [8].

Les Juifs de France ne s’identifient pas non plus à la France. « Leur identification à l’Etat d’Israël est extrême ; elle efface leurs liens avec le pays dans lequel ils vivent », écrit Daniel Ben Simon dans le quotidien israélien Ha’Aretz. « Cette double loyauté m’a été expliquée sans détour par un médecin juif de Nice : « Si je dois choisir (un jour) entre Israël et la France, cela ne fait pas question : je me sens plus proche d’Israël », m’a dit ce médecin, sans la moindre hésitation. « Né en France, il a été formé en France, il a étudié la médecine en France ; ses patients sont Français, il parle français avec sa femme et ses enfants. Mais dans les profondeurs de son cœur, il ressent une plus grande affinité avec l’Etat juif. »

En Palestine, les Juifs n’ont aucune compassion pour les indigènes. Ils roulent exclusivement sur des routes réservées, ils font leurs études dans des écoles ségréguées, tandis qu’un Juif consomme dix fois plus d’eau qu’un goy, et bénéficie de revenus sept fois supérieurs. Ainsi, la séclusion juive demeure un fait vécu pour la plus grande partie des communautés juives.

Pour leur propre bien-être, les Juifs doivent dissimuler leur position privilégiée tant en matière de fortune que de pouvoir, par les moyens suivants :

- ne jamais cesser de parler de l’Holocauste afin de lutter contre l’envie des autres ;

- dans une société monoethnique, les Juifs sont le seul corps étranger à se distinguer et à attirer l’attention, tandis que dans une société multiculturelle, c’est à peine si on les remarque. C’est pourquoi les Juifs encouragent l’immigration provenant de pays non-européens - la présence des immigrés estompant la marque de l’exclusivisme juif ;

- le Politiquement Correct est un moyen supplémentaire d’interdire tout débat au sujet de l’influence des Juifs ;

- la lutte contre le christianisme et l’Eglise est dans l’intérêt bien compris d’une communauté non-chrétienne : si l’Eglise était puissante, les Chrétiens préféreraient leur propre élite, l’élite chrétienne ;

- la mondialisation est un développement historique naturel pour un peuple réparti dans le monde entier (ce qui est le cas des Juifs), pour peu qu’ils n’accordent une importance qu’extrêmement limitée au mode de vie du pays où ils vivent (ce qui est aussi le cas des Juifs) ;

- l’appauvrissement des indigènes n’est que le revers de la médaille de l’enrichissement des communautés juives.

En résumé, une grande partie (pas la totalité, toutefois) des projets prêtés aux Juifs par les Protocoles sont en effet les idées utiles ou nécessaires pour le bien-être communautaire des Juifs, sans qu’il soit besoin d’une quelconque haine extrême à l’encontre des Gentils ni de la supervision d’on ne sait quels Sages de Sion. Il ne faut pas aller chercher plus loin le succès jamais démenti des Protocoles. Paradoxalement, c’est l’apartheid israélien qui met ces faits en lumière. Sans lui, sans cet apartheid israélien voyant, ces faits resteraient invisibles pour les communautés humaines qui abritent des Juifs en leur sein.