Le
monastère bouddhiste de Shaolin, situé au pied du mont Song Shan
dans la province du Hénan, fut édifié en 477 par l'empereur
Hsiao-wen (Xiaowen) de la dynastie des Wei du Nord. Le moine indien
Bodhiruchi vécut dans le monastère au début du VIe siècle ;
c'est là qu'il effectua ses nombreuses traductions de sutras en
chinois. C'est également en ces lieux, durant la première moitié
du VIe siècle, que se retira Bodhidharma, le patriarche du Ch'an
venu lui aussi d'Inde.
Les
moines de Shaolin ont mis au point des exercices permettant de
fortifier l'esprit et le corps. Puis ils ajoutèrent des
mouvements issus d'une vieille boxe indienne afin que les moines
puissent se défendre contre les brigandages incessants de l'époque.
Ainsi naquit le « wu-shu » (accomplissement de l'homme),
dont la partie combative (le kung-fu) reste la plus connue.
Cependant
les moines de Shaolin ne sont jamais considérés comme des
combattants ou des soldats. « Leur but est avant tout de
maîtriser le flux énergétique du corps, qu'ils appellent le Qi,
afin de pouvoir le canaliser dans n'importe quelle partie de leur
corps et devenir ainsi insensible à la douleur. Ils peuvent se
casser une barre de fer sur le crâne ou se briser un bâton sur le
corps sans jamais avoir mal, ni se blesser. En 1500 ans d'existence
le monastère a subi de nombreuses transformations et les
moines-soldats de Shaolin servirent quelquefois d'unités d'élite
aux empereurs chinois. Le monastère lui même fut détruit et
reconstruit à de nombreuses reprises. Mais les moines conservèrent
toujours le même principe de vie, fondé sur la défense et non
l'attaque ! Le monastère devint le plus important centre
spirituel de la Chine et la province du hénan le centre culturel de
l'Empire du Milieu avec plus de quatre-vingts monastères, dont la
plupart sont actuellement en cours de rénovation ou de
reconstruction. » (Bouddhisme actualités)
«
Shaolin Kungfu ® »
L'histoire
récente du temple de Shaolin et de ses arts martiaux est
emblématique de l'histoire chinoise dans son ensemble. En 1966, en
pleine Révolution culturelle, les gardes rouges attaquent le
monastère et emprisonnent les moines après les avoir humiliés en
public. Le gouvernement vide le monastère et le laisse à l'abandon
pendant des années. Pour autant, dans les années 1970, le cinéma
hong-kongais et la télévision américaine s'emparent du mythe de
Shaolin : la série télévisée Kung Fu et les films La
36e Chambre de Shaolin, Retour à la 36e chambre et Les
Disciples de la 36e chambre, parmi bien d'autres, exportent la
légende dans le monde entier. En 1981, le monastère rouvre
officiellement. Une démonstration de kungfu Shaolin s'y tient, la
première depuis près de vingt ans. Si le style Shaolin commence de
se reconstituer, le bâtiment est en très mauvais état et ne compte
plus alors que treize moines âgés qui ont survécu à la Révolution
culturelle.
Cette
année-là, un certain Shi Yongxin, âgé d'à peine vingt-quatre
ans, prononce ses vœux et entre au monastère. Jeune homme
ambitieux, travailleur infatigable et politicien habile, il prend en
1987 la tête de la commission administrative du monastère. Il
organise alors des démonstrations d'une grande perfection technique,
fait déposer la marque « Shaolin Kungfu » et parvient ainsi à
rassembler. en une dizaine d'années, l'équivalent de quinze
millions d'euros qui lui permettent de rénover entièrement les
bâtiments de Shaolin. « Le cinéma nous a beaucoup aidés »,
concède-t-il. Signe des temps, le gouvernement s'associe au
développement de la « marque » : un festival biennal est organisé
à Shaolin par le gouvernement afin de promouvoir la culture chinoise
et d'encourager les investissements économiques en Chine.
Cyrille
J.-D. Javary, Les trois sagesses chinoises.
Les
trois sagesses chinoises
taoïsme,
confucianisme, bouddhisme
Jadis
lointaine, exotique, inaccessible, la Chine, en moins d'une
génération, a pris dans notre vie quotidienne une place imposante.
Des mots chinois comme « yin » et « yang », sans être pour
autant toujours compris dans leur signification originale, sont
devenus tellement familiers que des éditorialistes politiques de
renom n'hésitent pas à les employer. Qu'ils soient utilisés comme
parures nouvelles posées sur des idées anciennes est moins grave
que ne le pensent les puristes. On peut toujours se réjouir du fait
que ces noms exotiques aient acquis droit de cité, rendant les idées
qu'ils expriment acceptables pour l'esprit français.
Il
en va de même pour les arts physiques chinois comme le tai ji quan,
le qi gong et surtout l'acupuncture : bien peu se hasarderaient
aujourd'hui à railler ces pratiques qui prennent en compte
l'ensemble énergétique constitué par l'union constante de l'esprit
et du corps, ou même à ricaner d'une technique de soin consistant à
enfoncer dans la peau des aiguilles en métal. Bien entendu, il ne
s'agit pas de se convertir aux enseignements chinois, mais rien
n'interdit de se demander comment nous pourrions aujourd'hui, en
Occident, nous enrichir de l'expérience chinoise.
Le
scientifique et humaniste Albert Jacquard explique par exemple que
l'humain n'est pas seulement un individu biologiquement isolé,
mais aussi et surtout une personne qui s'insère dans un
réseau de relations interpersonnelles. Ses réflexions de généticien
l'amènent à conclure que la responsabilité morale qu'implique la
notion de personne « ne tombe pas du ciel, mais émerge simplement
de l'ensemble des règles qui systématisent la finalité » de
l'évolution de l'homme, idée qui se rapproche beaucoup de l'«
enseignement » chinois — ce qui m'a conduit à le qualifier
amicalement de « confucéen qui s'ignore »...
Comme
le dit l'académicien François Cheng, « le Chinois est un être de
relations ». Un regard global sur l'enseignement des trois sagesses
chinoises fait apparaître leur profonde convergence : elles sont une
invite à accroître notre responsabilité, à développer notre
capacité à répondre par une attitude appropriée aux situations
auxquelles nous sommes chacun, chaque jour, confrontés.
Ce
qui les différencie apparaît alors simplement comme une question de
domaine d'application : le confucianisme, en mettant l'accent sur la
responsabilité au niveau social, incite à une attitude
bienveillante envers autrui ; le taoïsme, plus porté sur la
responsabilité au niveau vital, se manifeste d'une manière yin par
une attitude accueillante envers son corps et d'une manière yang par
une attitude respectueuse envers la nature ; le bouddhisme, en
soulignant l'importance de la responsabilité individuelle des actes
et la nécessité d'acquérir des mérites, favorise une attitude de
compassion envers toutes les formes vivantes.
Sans
doute est-ce cette « répartition des tâches » qui a permis à ces
trois sagesses de cohabiter si durablement et de s'enrichir
mutuellement, malgré les épisodes mouvementés qui les ont
opposées. Et sans doute aussi est-ce bien parce qu'il s'agit
d'enseignements, de manières de vivre plutôt que de croyances
absolues, que même leurs affrontements, parfois violents, n'ont
jamais pris la forme de guerres de religion. Il est remarquable que
la pensée traditionnelle chinoise antique, dont les versants
confucéen et taoïste se répondent l'un l'autre comme yin et yang,
n'ait pas éclaté à l'arrivée du bouddhisme, dont la pratique
sociale et la perspective spirituelle bousculaient pourtant toutes
ses valeurs traditionnelles. Alors que l'Empire romain, dans des
circonstances politico-religieuses analogues (affaissement de
l'autorité centrale, invasions de peuples étrangers et
développement d'une religion exogène), s'est irrémédiablement
effondré, la Chine a su puiser, à chaque tournant de son histoire,
dans chacun des trois enseignements ce qui pouvait contribuer à sa
pérennité. On peut acquérir une vue d'ensemble de cette
complémentarité à travers le tableau de la page suivante.
Sortie
du cauchemar de la pauvreté et des excès idéologiques du maoïsme,
ayant retrouvé sa dignité dans le concert des nations, c'est
toujours en s'appuyant sur sa culture millénaire que la Chine entre
maintenant dans la modernité. Fang Dongmei, un philosophe
contemporain, l'exprimait ainsi : « Je suis un confucéen par
tradition familiale ; un taoïste par tempérament ; un bouddhiste
par inspiration religieuse et aussi un Occidental par formation. »
Les trois enseignements de sa vieille culture — la rectitude
confucéenne, la sensibilité taoïste, l'apaisement bouddhiste —,
tout en prenant des formes nouvelles, restent au cœur de son
identité. Au-delà de ce qu'ils peuvent nous apporter
personnellement, leur compréhension ouvre la voie à des échanges
constructifs avec la singularité chinoise.