Certaines personnes
identifient la méditation à un état dans lequel l'esprit serait
complètement « ailleurs » : le corps est maintenu rigide comme un
morceau de bois, et l'esprit est figé dans une recherche d'ouverture
et de clarté. Cette attitude, créée et maintenue artificiellement
par la volonté et la tension, est erronée. D'autres personnes se
concentrent sur la vacuité, essayant de « faire le vide », de
produire une dimension spéciale de « vide » dans laquelle rien
n'apparaît jamais, une sphère bienheureuse où l'on serait protégé
de « tout » dans le « rien ». Bien entendu, ce vide n'a rien à
voir avec la vacuité authentique, il n'est qu'une fabrication
mentale. Certains méditants cherchent à calmer l'esprit en le
faisant sombrer, en le tirant vers le bas. Ils tentent de faire
disparaître l'agitation en confinant l'esprit, comme dans une boîte.
Les énergies se resserrent alors au niveau du cœur, donnant
l'impression que le calme est obtenu. Cependant, aucune luminosité
ne se révèle, mais au contraire l'esprit est sombre et lourd et
s'enfonce dans la torpeur et l'inconscience. Si l'on persiste dans
cette voie, un véritable malaise s'installe, qui conduit à une
irritation de plus en plus intense. Finalement, le refoulement est
tellement intense qu'il explose en colère.
Toutes ces erreurs
proviennent de la volonté d'enfermer l'esprit dans des
représentations conceptuelles, de le réduire à l'une ou l'autre
idée qui contrarie sa liberté et son espace naturel. Cela est la
cause de toutes les perturbations et de toutes les souffrances
rencontrées dans la méditation. Il est important que chaque
méditant découvre et reconnaisse dans quel type d'erreur il tombe.
En effet, ce n'est qu'une fois que nous avons vu clairement quelle
erreur nous commettons, que nous pouvons nous en défaire. [...]
Pour pouvoir véritablement
méditer, nous devons nous défaire de l'espoir que notre esprit
puisse rester stable longtemps, et de la crainte qu'il devienne agité
et envahi par les pensées. Acceptons le fait que, quel que soit
l'état de l'esprit, c'est toujours l'esprit. Quand il est calme,
c'est l'esprit. Quand il est agité et produit des pensées, c'est
encore l'esprit. Et ce qui est conscient de ces différents états,
c'est toujours l'esprit. Il n'y a donc aucun sens à établir une
séparation artificielle entre l'esprit et les pensées, ou de
préférer le calme au mouvement, car les deux sont également
l'esprit. Il est vain de préférer l'un au détriment de l'autre.
Alors, laissons simplement l'esprit reposer dans sa luminosité, sa
radiance naturelle, sans interférer le moins du monde sur le
mouvement des pensées. Reconnaissons que l'esprit est dépourvu
d'apparition et de cessation : il est non né, sans commencement et
sans fin, spontanéité pure. De ce fait, il est absurde de souhaiter
ne connaître qu'une seule forme d'esprit, l'esprit calme, et de
redouter de rencontrer l'esprit actif. Abandonnons l'espoir ou la
crainte, et laissons l'esprit être ce qu'il est, tel qu'il est,
naturellement libre, sans nous attacher à l'un ou l'autre de ses
moments.
Il ne faut pas penser que
méditer signifie essayer d'être meilleurs que nous ne le sommes
actuellement, parce que nous ne faisons alors que nous laisser aller
à l'espoir, et cette attente est vaine. Nous devons prendre
conscience que la véritable nature de l'esprit est la nature de
bouddha, et qu'il n'y a rien à chercher puisque cette dimension
éveillée demeure déjà en nous. Pour cette raison, Tilopa, le
grand maître indien, disait qu'il fallait être fou et ignorant pour
chercher la bouddhéité à l'extérieur de soi. Certains développent
beaucoup d'efforts pour chercher cette bouddhéité, et ils ne font
que se fatiguer sans aucun résultat. Il faut reconnaître que la
nature de bouddha est en nous, et qu'elle n'est pas quelque chose de
différent de nous-mêmes, qui doit être produit ou créé. Il faut
simplement la laisser se révéler. Cela ne s'accomplit que lorsque
nous nous sommes défaits de toute forme d'attachement. Si nous
laissons l'esprit se détendre, sans poursuivre aucune pensée ni
aucun but, la véritable dimension de notre esprit, la nature de
bouddha, se manifeste d'elle-même.
Lorsque nous commençons à
méditer, nous avons souvent l'impression qu'il y a davantage de
pensées et d'agitation mentale que lorsque nous ne méditions pas.
Cette impression, commune à tous les pratiquants, est fausse. Du
fait de la méditation, une plus grande conscience de l'état de
l'esprit se développe. Notre esprit devenant plus clair, nous
percevons à présent le mouvement des pensées qui nous échappait
jusque-là. Dans l'état ordinaire, lorsqu'il ne médite pas,
l'esprit est comme assoupi. Il n'est pas du tout conscient du flot
incessant des pensées qui le traverse. Pour cette raison, la
découverte de l'importance du flot mental dans la méditation n'est
pas une faute en soi. C'est au contraire un progrès dû au
développement de la méditation. Quelles que soient les pensées qui
s'élèvent, regardons directement l'essence de chacune d'elles.
Quand nous percevons leur essence, nous voyons l'essence de l'esprit,
sa réalité, le dharmata , la dimension ultime, le
dharmakaya. À chaque fois qu'une pensée survient,
entraînons-nous à en reconnaître l'essence. Nous serons alors à
même de découvrir le jeu incessant de l'esprit dharmakaya.
Toutes les pensées qui vont et viennent ne sont plus réelles, mais
sont le jeu de la créativité naturelle de l'esprit, l'expression
spontanée de la réalité.
Lama Guendune,
« Mahamoudra ».