Sous
le gouvernement des lamas, le Tibet c'était « Dallas,
sexe, neiges éternelles, argent et pouvoir ».
En 2003,
le livre de Gilles Van Grasdorff Le Dalaï-lama, la biographie non
autorisée est publié chez
Plon. Un lecteur de Bouddhanar a retrouvé l'interview de Gilles
Van Grasdorff dans le n° 44 de la revue Bouddhisme actualités.
Dix
ans d'enquêtes
« Ces années de rencontres avec
le Dalaï-lama, dit Gilles Van Grasdorff, sa famille, ses amis, ses
détracteurs, de plus en plus nombreux au sein de son peuple, toutes
ces années de collaboration avec son médecin, Tenzin Chœdrak, ont
été des moments intenses, uniques à vivre. Tous m'ont donné la
possibilité de vivre une formidable expérience spirituelle et
humaine. »
L'entourage
du Dalaï-lama
« Trop
de gens autour de Sa Sainteté tirent les ficelles. Il serait naïf
d'imaginer que la société tibétaine ait pu échapper aux fléaux
qui ont frappé nos civilisations. Ainsi, quelques familles
continuent à se partager le pouvoir. C'était déjà le cas au
Tibet, ayant l'invasion chinoise de 1949. Cela n'a pas changé. Ces
familles participent au gouvernement de l'exil, ont parfois un ou
deux ministres en place, se partagent les fonctions dans les
principales institutions, multiplient les réincarnations en leur
sein. Pour l'argent, simplement. Parmi eux, il y a des incapables que
l'on déplace au gré des occasions ou des élections. Mais un
incapable reste un incapable, qu'il soit ministre ou représentant de
Sa Sainteté dans un Bureau du Tibet, en Occident ou en Asie.
Dans le Tibet du XXe siècle, on complote, on empoisonne, on
assassine, on corrompt, on trahit... »
La
corruption
« La
corruption a été le quotidien des régences au Tibet. L'interrègne
de Reting Rinpotché et de Tagdra Rinpotché n'y a pas échappé. Les
deux régents se sont comportés comme des voyous. C'est « Dallas,
sexe, neiges éternelles, argent, pouvoir ». La famille du
Dalaï-lama a été victime des perfidies de ces régents : son père
a été assassiné pour avoir soutenu Reting Rinpotché et pour bien
d'autres choses encore ; et le doute a été colporté par Tagdra
Rinpotché sur le statut même de Tenzin Gyatso. Ici, les choses ont
finalement bien tourné pour l'actuel Dalaï-lama : le régent avait
imaginé l'élimination de tous les frères de Sa Sainteté, pour
mieux pouvoir se débarrasser du Dalaï-lama ensuite, et, écarter
amala, sa maman, une femme extraordinaire de bonté et
d'honnêteté. »
Le
rôle de la CIA et les services secrets chinois
« Et
celui des services secrets indiens, aussi, précise Gilles Van
Grasdorff. Je raconte, par exemple, une attaque par un groupe de
résistants tibétains commandés par un mercenaire. Alors qu'ils
s'apprêtaient à brûler les véhicules chinois, ils ont découvert
des sacs de courrier et un dossier, qui furent expédiés à Langley,
le siège de la CIA. Étudiés par leurs spécialistes de la langue
chinoise, les documents s'avéraient d'une extrême importance. Mais,
à l'époque, à Washington, des gens proches de la présidence n'y
ont pas vraiment cru. Il leur a fallu du temps pour comprendre ! Je
tiens à une précision : la CIA a dupé la résistance tibétaine.
Quant aux services secrets chinois, ils recrutaient à l'époque des
indiens pro-maoïstes. Autant dire qu'il leur a été facile
d'infiltrer Dharamsala, dès 1960, dès l'installation du Datai-Lama.
Quant à Gyalo Thondoup, le frère du Dalaï-lama, il entretenait des
relations assez régulières avec les services secrets indiens. »
Le
Dalaï-lama était-il informé de ce qui se tramait ?
« Pour
certaines choses, oui. Ne l'oublions pas, il était le chef du
gouvernement du Tibet en exil. Quant à la CIA, on la retrouverait
dans l'évasion de Sa Sainteté Urgyen Trinley Dordjé. Rappelons-le,
le XVIIe Karmapa a fui Tsourphou, son monastère, le 28 décembre
1999, au nez des Chinois. Une fois la chaîne himalayenne traversée,
on est dans le Mustang, là où la résistance tibétaine avait ses
bases arrières et son commandement. Toutes les enquêtes le
prouvent, des Occidentaux traînaient dans les parages, prêts à
voler au secours des fuyards, si les choses tournaient mal. C'est à
l'orée d'un petit village de montagne, que le XVIIe Karmapa, Urgyen
Trinley Dordjé, a grimpé à bord d'un hélicoptère loué à une
société népalo-américaine. Le Karmapa a ensuite été «
réceptionné » par un Américain. Nous étions en Inde. L'homme l'a
conduit à une voiture. En route pour Dharamsala, où Sa Sainteté
est arrivée le 5 janvier 1999. »
Les
exactions des Gardes Rouges TIBETAINS
« Au
cours de mes recherches, des Tibétains m'ont parlé du rôle ambigu
de leurs compatriotes au moment de la Révolution culturelle chinoise
de 1966. J'ai fouillé, interrogé, lu des documents, essayé de
comprendre les non-dits, les silences coupables. En 2002, un article
paru dans le Courrier international, écrit par un philosophe
chinois, communiste, a attiré mon attention. Lors de mon dernier
voyage en Inde, j'ai poussé mon enquête. Et, j'ai trouvé des
réponses, lourdes de sens, non pas à Dharamsala, mais ailleurs.
Oui, des Tibétains, enrôlés dans les Gardes Rouges, ont
participé aux exactions commises sur le Toit du Monde. Oui, des
Tibétains ont commis des crimes, détruit des monastères, torturé
des moines et des nonnes. Ces gardes rouges tibétains étaient
jeunes. Ils avaient seize, dix-sept ans, vingt ans pour quelques-uns.
Enlevés à leurs familles au début des années 50, ils avaient été
- s'ils survivaient - éduqués en Chine communiste. Lorsque la
Révolution culturelle a éclaté, ces jeunes ont été renvoyés
dans leur pays. C'était une aubaine pour Mao ! »
La
situation actuelle des dignitaires du bouddhisme tibétain
« Le
XXIe siècle ne semble guère varier du précédent. Les hommes
restent les hommes. Ainsi, que ne ferait-on pas pour une coiffe
noire, celle des Karmapas, actuellement à Roumtek ? Côté pile,
Shamar Rinpotché a été accusé d'avoir voulu s'emparer des biens
du XVIe Karmapa. Le procès qui lui a été fait, n'a abouti à rien.
On dit aussi que Sa Sainteté à la coiffe rouge a échappé à un
attentat. Côté face, Tai Sitou Rinpotché, l'autre régent de la
lignée Kagyupa, est accusé de fricoter avec la Chine communiste. »
Où
est la vérité ?
« Il
ne m'appartient pas de prendre position pour ou contre Urgyen Trinley
Dordjé, pour ou contre Trinley Thayé Dordjé, les deux XVIIe
Karmapas. Je les connais tous les deux, je les apprécie tous les
deux. Mais, en écrivant cette biographie, je me dois de témoigner.
Et je m'interroge sur la tentative d'assassinat du XVIe Kannapa.
Est-ce bien le gouvernement tibétain qui a recruté le tueur à
gages pour assassiner Sa Sainteté Rangjoung Rigpé Dordjé ? »
Des
révélations concernant le Xe Panchen-lama Choekyi Gyaltsen
« En
fait, il y avait un autre candidat. Un jour, on m'a remis un document
chinois. Il datait de 1938, et relatait l'histoire de cet enfant. La
traduction a été réalisée par des amis chinois. Il s'agit de
magouilles, de manipulations, de pressions autour des réincarnations.
Ce n'était pas la première fois, ce ne sera certainement pas la
dernière. Mais nous aurions très bien pu nous retrouver à l'époque
avec deux Xe Panchen-lama, l'un proche de Lhassa, l'autre proche de
Nankin et du Guomindang.
Concernant
Guendune Choekvi Nyima, le XIe Panchen-lama, enlevé par les Chinois
en 1995, aussitôt sa désignation par le Dalaï-lama et remplacé
par Norbou, un garçon du même âge, né dans le même village que
Guendune, dont les parents sont membres du Parti communiste local, je
pense que le Dalaï-lama a commis une erreur grave en désignant cet
enfant, sans l'avoir « mis à l'abri » auparavant. Dans la lignée
Gelougpa, le rôle du Panchen-lama est essentiel à la mort du
Dalaï-lama, il doit désigner le XVe Dalaï-lama, Nous nous
retrouverons probablement avec un Dalaï-lama chinois et un
Dalaï-lama « libre », du côté de Dharamsala ou ailleurs. A vous
avouer le fonds de ma pensée, je prévois des années encore très
noires pour le peuple tibétain. »
Site
de la revue Bouddhisme actualités :