« ...lorsque j'ai eu 12, 13 ans j'ai été sexuellement abusé par
d'autres moines ... Mon propre tuteur a essayé de me tuer, c'est la
vérité et à cette époque j'étais très traditionnel. Un très
bon bouddhiste traditionnel. Ils ont essayé de me tuer parce que,
vous savez, je n'ai pas fait ce qu'ils voulaient que je fasse. »
(...
when I was like 12 and 13 I've been sexually abused by other monks
... My own Tutor, he tried to kill me, that's the truth and I was at
that time I was really traditional.Very good traditional Buddhist
practitioner.They tried to kill me because you know, I am not doing
what they want me to do.)
Kalou Rinpoché, 22 ans, est l’une des étoiles les plus brillantes et l’un des plus grands espoirs du Bouddhisme tibétain. Il est à la tête d’une multinationale du bouddhisme tibétain mondiale comprenant 44 monastères et centres d’enseignement, dont 16 aux États Unis, qui drainent des milliers d’étudiants et de disciples. Il a hérité de bon nombre de ces adeptes, ayant été reconnu à l’âge de 2 ans comme la réincarnation de Kalou Rinpoché, décédé en 1989 et qui fut l’un des lamas les plus influents en Occident en dehors du Dalaï-lama.
Le
Jeune Kalou voyage partout dans le monde, le plus souvent seul, pour
rendre visite à ses centres de méditation et à ses monastères, ou
juste pour s’amuser dans des pays où les visas sont accordés
facilement. Son véritable monastère est en ligne – Kalou se
qualifie lui-même de « premier Facebook rinpoché », gérant un
réseau de pages personnelles et publiques avec des milliers d’amis
et de « j’aime ». « La plupart sont des jeunes de son âge qui
ont découvert qu’il était plutôt cool de recevoir un message
personnel d’un lama authentique.
Kalou
est un beau jeune homme lisse, agile, aux tempes dégarnies, avec de
longues pattes, et une casquette de roadster blanche – quelque chose
comme la version branchée d’un caddy de golf. Une ambiance pop
star émane de lui, assez appropriée compte tenu de son style de
vie. Après une série de sessions sur Skype, notre première
constatation est qu’il se trouve dans un hôtel à Hong Kong, et
non en Inde, comme ses posts sur facebook pourrait le faire croire à
ses « amis ». Il aime aussi jouer avec son identité. Ce printemps,
sa page facebook personnelle a affiché les noms divers de Kalu André
(il adore Paris et en est parti uniquement parce que son visa avait
expiré), Kalu Skrilles (il est fan de Skrillex), et George Kalooni
(juste parce que).
Né
dans une famille tibétaine privilégiée, vivant à la fois en Inde
et au Bhoutan, Kalou a absorbé la culture occidentale au
compte-goutte quand il était enfant dans son monastère près de
Darjeeling, en Inde. « Nous étions 200 à partager un petit poste
de télé », dit-il. « Nous regardions Van Damme et Arnold
Schwarzenegger ». Il a appris l’argot anglais en regardant des
films américains et en écoutant de la musique (les Backstreet Boys
étaient à la mode). « Depuis que je suis gamin », dit-il, « je
ne me suis jamais dit « c’est l’Occident ». Je me suis dit «
c’est la réalité, c’est ce que je veux ». Quand il a quitté
la vie monastique il y a deux ans, pour débuter sa carrière
d’émissaire mondial, il a avalé une décennie de culture
populaire en une seule bouchée de géant. Ses préférés sont, en
musique, Foster the People et Deadmau ; à la télé, Gossip Girl
(plein de coups de théâtre), et au cinéma, The Hangover. « Je
suis fan du premier, le second n’était pas aussi bon », dit-il. «
J’aime Bradley Cooper. Il est très séduisant. »
Malgré
tous les plaisirs d’une vie sociale en réseau, Kalou est
solitaire, Petit Prince bouddhiste à la dérive sur une
cyber-astéroide. « En fait, je n’ai jamais eu de vrai ami »,
dit-il. « Je n’ai jamais senti que telle ou telle personne était
mon ou ma meilleure ami(e). Avoir quelqu’un dans sa vie est une
autre histoire. » Il y a un an environ, il a failli se marier avec
une jeune tibétaine fortunée, et en ce moment il fait une pause
avec sa petite amie argentine. Un peu plus tard cependant, il
s’excuse d’avoir dit qu’il n’avait pas d’amis – «
J’étais un peu éméché et déprimé » - et le réitère presque
mot pour mot, mais en disant de la solitude qu’il « peut la gérer
».
Pour
apprécier Kalou il faut voir en lui deux choses en même temps.
C’est un gamin tourmenté et un adepte spirituel dont les dons ont
été affinés au cours de la traditionnelle retraite de 3 ans qu’il
a faite à l’adolescence – dont la dernière année a été
consacrée à la pratique quasi constante de la méditation et du
yoga.
Kalou
reconnaît qu’il est temps de contrôler un peu mieux une vie qui a
été marquée par un chaos émotionnel. Il a mis de côté son
projet d’étude des religions comparées au sein d’une université
américaine, afin de garder un peu d’autorité sur son
organisation. Pourtant, les lamas supérieurs de son ordre ont du
intervenir pour combler le vide créé par son mode de vie bohème et
sa propension à dire tout ce qui lui vient à l’esprit.
Après
une session d’enseignement à Vancouver, quelqu’un dans
l’auditoire a interrogé Kalou sur les abus sexuels dans les
monastères. Il a répondu qu’il y était sensible parce que
lui-même avait été agressé.
Cela a semblé briser le mur qui avait séparé hermétiquement ses
traumatismes personnels de son personnage public souriant, qui avait
l’aura d’un Dalaï-lama plus actuel et plus branché. Deux
mois plus tard, Kalou a regagné son port d’attache temporaire à
Paris, où il a tourné une vidéo qu’il a posté sur facebook.
Intitulée « les confessions de Kalou Rinpoché », la vidéo a
connu un succès modeste sur YouTube, et a fait de lui un paria dans
le monde du bouddhisme tibétain traditionnel, et un héros de la
conscience pour certains Occidentaux. (vidéo
ci-dessus)
Dans
la vidéo, Kalou est assis, vêtu d’une parka à capuche, et il dit
à la caméra qu’au début de son adolescence il a été « abusé
sexuellement par des moines plus âgés », et que quand il avait 18
ans son tuteur au monastère l’a menacé avec un couteau. « Et
c’est une question d’argent, de pouvoir, de contrôle… et
ensuite je suis devenu toxico à cause de tous ces malentendus, et je
suis devenu fou ». Vers la fin de la vidéo, il dit dans un murmure
qui parait presque suicidaire : « En tous cas, je vous aime. Prenez
soin de vous, je suis heureux de la vie que je mène ».
Pour
ceux qui ne connaissent que l’imagerie hollywoodienne de Little
Buddha et de Kundun,
et le sourire béat de sa Sainteté le Dalaï-lama, il est presque
incompréhensible que le Bouddhisme tibétain ait ses propres
problèmes, dans le
style de ceux de
l’Église Catholique. Mais Kalou dit que dans les premières années
de son adolescence, il a été abusé sexuellement par une bande de
moines plus âgés qui se rendaient dans sa chambre chaque semaine.
Quand j’aborde la notion d’ « attouchements », il éclate d’un
rire tendu. C’était du sexe hard-core, dit-il, avec
pénétration. « La plupart du
temps ils venaient seuls », dit-il. « Ils frappaient
violemment à la porte et je devais ouvrir. Je savais ce qui allait
se passer, et après on finit par s’habituer ». C’est seulement
après son retour au monastère après la retraite de trois ans,
qu’il a réalisé à quel point cette pratique était incorrect. Il
dit qu’à ce moment là le cycle avait recommencé sur une plus
jeune génération de victimes.
Les
allégations de Kalou concernant les abus sexuels ressemblent à
celles de Lodoe Senge, un tulku de 23 ans, ex-moine, qui vit dans le
Queens à New York. « Quand j’ai vu la vidéo », dit-il en
parlant de la confession de Kalou, « je me suis dit « merde, ce mec
a les couilles d’en parler alors que moi je n’ai même pas eu le
courage de le dire à mon amie ». Senge dit qu’il a été abusé
quand il avait 5 ans par son propre tuteur, un homme proche de la
trentaine, dans un monastère en Inde.
L’altercation
entre Kalou et son tuteur monastique n’avait rien d’habituel.
D’après Kalou, après
son retour de retraite, lui et son tuteur se disputaient au sujet de
sa décision de remplacer ledit tuteur. Le moine plus âgé partit en
colère, et revint avec un grand couteau. Kalou se barricada dans la
chambre de son nouveau tuteur, mais il dit que le moine furieux
défonça la porte en criant « j’en ai rien à foutre de toi, de
ta réincarnation. Je peux te tuer tout de suite et nous pouvons
reconnaître un autre garçon, un autre Kalou Rinpoché ! ». Kalu se
réfugia dans la salle de bain, mais le tuteur défonça aussi la
porte. Kalu se souvient, « Vous vous dites, « Ok, c’est la fin,
ça y est ». Heureusement, d’autres moines avaient entendu le
vacarme et se sont précipités pour maîtriser le tuteur. Après
l’attaque, Kalu dit que sa mère et plusieurs de ses sœurs (le
père de Kalou est mort quand il était enfant) prirent le parti du
tuteur. Il
en fut si désemparé qu’il se sauva du monastère et s’embarqua
dans une beuverie de six mois à Bangkok, consommant drogue et
alcool, dans une version tibétaine plus extrême d’un rumspringa
amish (Rite
de passage de la communauté Amish, au cours duquel les adolescents
sont temporairement libérés de leur Église et de ses règles afin
de découvrir le monde moderne).
Par
la suite, un maître plus âgé persuada Kalou de continuer à être
un lama en dehors du monastère et sans l’habit de moine, ce qui
est un arrangement assez courant. Kalou ne dit jamais à son maître
quelles avaient été les raisons de sa fuite, un niveau de décorum
qui peut sembler bizarre selon les critères occidentaux – mais
Kalou dit qu’une forme d’omerta sévit dans le Bouddhisme
tibétain.
Les
médias occidentaux bouddhistes ont à peine évoqué l’histoire de
Kalu, ce qui peut constituer une autre forme de décorum : ils ne
veulent pas démoraliser les américains convertis au Bouddhisme ou
faire des vagues parmi les bouddhistes tibétains influents. Mais
certains jeunes bouddhistes occidentaux, comme Ashoka et son
demi-frère Gesar Mukpo, qui a réalisé le documentaire Tulku
en 2009, disent trouver l’honnêteté brute de Kalou inspirante.
Ruben Derksen, tulkou hollandais de 26 ans qui apparaît dans le film
de Gesar, dit qu’il est grand temps de « lever le voile et de
démystifier les institutions du Bouddhisme tibétain ».
Derksen, qui a passé trois ans dans un monastère en Inde quand il
était enfant, souhaite attirer l’attention sur les violences
physiques qui sont une pratique régulière là-bas. « J’ai
rencontré Richard Gere et Steven Seagal, et ils n’ont rien vu de
tout ça », dit-il. « Quand des célébrités ou des étrangers
sont par là, on ne bat pas les enfants ».
Les
révélations de Kalou ont doucement secoué l’institution
bouddhiste tibétaine, et même certaines de ses figures les plus
distinguées ont été prises de cours.
Robert
Thurman, professeur à l’Université de
Columbia et confident américain du Dalaï-lama, dit de la vidéo de
Kalou, « j’ai pensé que c’était une des choses les plus
réelles que j’ai vues ». Au sujet de l’incident du couteau, que
certains pourront trouver difficile à croire, Thurman a écrit dans
un mail ultérieur, « malheureusement, tout ça me paraît très
crédible… ça dégage juste une odeur nauséabonde ».
Dzongsar
Khyentsé Rinpoché, le lama réalisateur de La Coupe, un film
assez peu sentimental sur des enfants tibétains qui apprennent à
être moines, est aussi concerné par les abus sexuels dans les
monastères. « Je pense que cela mériterait d’être examiné »,
dit-il. « Il est très important que les gens n’oublient pas : le
Bouddhisme et les Bouddhistes sont deux entités différentes. Le
Bouddhisme est parfait ». Il laisse entendre que les Bouddhistes ne
le sont pas.
En
Kalu il y a un réformateur qui se bat pour se sortir de son statut
de victime qui s’apitoie sur son sort. Il projette d’ouvrir sa
propre école au Bhoutan et d’interdire à ses monastères
d’accepter des enfants. Il peste contre le coût humain du système
monastique, qui consomme des milliers d’enfants, simples moines et
tulkous vénérés, sans leur fournir d’éducation pratique ou de
solution de repli, tout ça pour produire une poignée de maître
spirituels commercialement brillants. « Le système des tulkous
c’est comme des robots », dit-il. « Vous construisez 100 robots,
et peut-être que 20 % réussiront alors que 80 % seront mis au
rebut. »
Article
de Joseph Hooper, « Partis de leur OM, les lamas perdus du
bouddhisme »
Kalu
Skrilles sur facebook
Confessions of Kalu Rinpoche
http://spiceyourday.com/?p=176