On
peut comprendre le geste de Mohamed Bouazizi, le jeune tunisien qui a
préféré mourir que de vivre dans la misère (les autorités lui
ayant confisqué son outil de travail, une charrette de marchand
ambulant). En s'immolant par le feu le 17 décembre 2010, Mohamed
Bouazizi fut à l'origine d'un mouvement social qui se répandit dans
toute la Tunisie et mit fin à la dictature.
Au
Tibet, les immolations par le feu de moines bouddhistes posent une
question :
Comment des moines peuvent-ils être affectés par
les méandres de la politique et les autres illusions du samsara au
point de s'autodétruire ? Tous les bouddhistes savent que
l'existence humaine est trop précieuse et trop difficile à obtenir
pour être gaspillée.
Dans
le bouddhisme il est possible de mettre fin à ses jours en
prétextant le suicide altruiste.
En effet, selon les Jâtakas (les récits des nombreuses vies
antérieures du Bouddha), Shākyamouni, avant de devenir le Bouddha
historique, aurait dans une lointaine existence offert son corps à
une tigresse affamée allaitant 5 tigrons. Ainsi, la notion de
suicide altruiste permet de manipuler des personnes dans un but
social, politique ou militaire. Durant la seconde guerre mondiale,
les kamikazes étaient « bénis » par des responsables
religieux du Japon, des dignitaires bouddhistes et des prêtres
shintoïstes. En outre, les lamas tibétains propagent une doctrine
guerrière parmi les initiés de Kalachakra. Dans une vie future, ces
initiés seront, leur dit-on, les combattants glorieux de Shambhala
qui viendront établir le nouvel ordre mondial de la bonne loi ou du
saint Dharma ; le suicide altruiste ne crée pas de mauvais
karma.
Autre
chose, sans pour autant dédouaner les autorités non démocratiques
de Chine, les personnes qui connaissent un peu la fausseté des
hiérarques tibétains et les ambiguïtés du dalaï-lama sont
toujours prudentes sur la question de la répression des libertés au
Tibet. Personnellement, il y a quelques années, j'avais parcouru une
grande partie du Kham et le nord du Yunnan sans être inquiété par
la police chinoise. Pourtant, j'avais souvent revêtu ma tenue
monastique (à l'exception du gilet bleu, cette tenue est identique
à celle de l'école du dalaï-lama).
Dans
le Yunnan, à Shangrila (anciennement Zhongdian
en chinois et Gyalthang en tibétain),
j'avais rencontré un américain installé dans cette région comme
éleveur de bétail. Pour rien au monde, il aurait envisagé de
repartir aux USA. Quand on a vu le Yunnan, il est facile de
comprendre ce yankee. Mais, c'est bien connu, la privation de liberté
enlaidit tout...
On
ne peut nier que les Hans, l'ethnie chinoise majoritaire, posent des
problèmes au Tibet et dans d'autres régions de Chine où vivent les
shǎoshu
mínzú,
littéralement « peuples en petit nombre », c'est-à-dire
les « minorités ethniques ». En effet, les Hans sont de
redoutables concurrents pour les commerçants, artisans, ouvriers,
employés, chômeurs... de ces minorités. De plus, au Tibet, la
politique de sédentarisation accentue les tensions. Les Tibétains
sont forcés d’installer des clôtures de barbelés autour de leurs
troupeaux. « Les nomades tibétains, écrit la réalisatrice
Geneviève Blault, qui avaient réussi à préserver leur mode de vie
ancestral jusqu’à tout récemment, voient désormais leur
existence menacée au quotidien. Le gouvernement de Beijing est
convaincu que la population nomade doit accéder à des standards de
développement occidentaux. En 2010, les autorités chinoises
visaient un taux de sédentarisation de 80% des nomades à la
grandeur du plateau tibétain. »
En
réalité, comme en France et partout dans le monde, le peuple tibétain est
confronté aux problèmes générés par le capitalisme et la
mondialisation (chômage, pauvreté, domination de l'argent,
despotisme oligarchique...).
Ce qui est certain, les Tibétains n'ont pas l'intention de restaurer
l'ancienne dictature religieuse des lamas.