En 1920, un ingénieur polonais, pourchassé par les bolcheviks, gagne la Mongolie.
En Mongolie, pays des miracles et des mystères, vit le gardien du Mystérieux et de l’Inconnu, le Bouddha vivant, Sa Sainteté Djebtsung Damba Houtouktou Khan, Bogdo Gheghen, pontife de Ta Kure. C’est l’incarnation de l’immortel Bouddha, le représentant de la lignée ininterrompue de souverains spirituels régnant depuis 1670, qui se transmettent l’esprit toujours plus affiné de Bouddha Amitabha joint à Shén-rézi, l’esprit miséricordieux des montagnes. En lui est tout, même le mythe du soleil et la fascination des pics mystérieux de l’Himalaya, les contes des pagodes de l’Inde, la sévère majesté des conquérants mongols, empereurs de l’Asie toute entière, les antiques et brumeuses légendes des sages chinois ; l’immersion dans les pensées des Brahmanes ; la vie austère des moines de l’Ordre Vertueux ; la vengeance des guerriers éternellement errants, les Olets, avec leurs Khans, Batur Hun Taigi et Gushi ; le fier héritage de Gengis et Koublai Khan ; la psychologie cléricale réactionnaire des lamas ; le mystère des rois tibétains commençant avec Srong-Tsang Gampo ; l’implacable cruauté de la secte jaune de Paspa. Toute la brumeuse histoire de l’Asie, de la Mongolie, du Pamir, de l’Himalaya, de la Mésopotamie, de la Perse et de la Chine, entoure le Dieu vivant d’Ourga. Ainsi ne doit-on pas s’étonner que son nom soit vénéré tout le long de la Volga, en Sibérie, en Arabie, entre le Tigre et l’Euphrate, en Indochine et sur les rives de l’océan Arctique.
Pendant mon séjour à Ourga, je visitai plusieurs fois la demeure du Bouddha vivant ; j’ai causé avec lui et j’ai observé sa vie. Ses savants marambas favoris m’ont longuement entretenu de lui. Je l’ai vu lire des horoscopes, j’ai entendu ses prédictions, j’ai consulté ses archives de livres anciens, les manuscrits contenant la vie et les prédictions de tous les Bogdo Khans. Les lamas me parlèrent avec franchise et sans réserve, la lettre du Houtouktou de Narabanchi m’ayant gagné leur confiance.
La personnalité du Bouddha vivant présente la même dualité que l’on retrouve dans tout le lamaïsme. Intelligent, pénétrant, énergique, il s’adonne en même temps à l’alcoolisme, qui a causé sa cécité. Lorsqu’il devint aveugle, les lamas tombèrent dans le désespoir le plus profond. Quelques-uns assurèrent qu’il fallait l’empoisonner et mettre à sa place un autre Bouddha incarné ; les autres firent valoir les grands mérites du pontife aux yeux des Mongols et des fidèles de la religion jaune. Ils décidèrent finalement de bâtir un grand temple, avec une gigantesque statue de Bouddha, afin d’apaiser les dieux. Ceci cependant ne réussit pas à ramener la vue du Bogdo, mais lui donna l’occasion de hâter le départ pour l’autre monde de ceux d’entre les lamas qui avaient fait preuve d’un radicalisme excessif quant à la méthode de résoudre le problème de sa cécité. (…)
L’estime et la fidélité religieuse la plus profonde entourent le pontife aveugle. Devant lui tous se prosternent, face contre terre. Les khans et les houtouktous s’approchent de lui à genoux. Tout ce qui l’entoure est sombre et plein d’antiquité orientale. Le vieillard aveugle et ivrogne, écoutant un air banal de phonographe, ou donnant à ses serviteurs une secousse électrique avec sa dynamo, le féroce tyran empoisonnant ses ennemis politiques, le lama maintenant son peuple dans les ténèbres, le trompant par ses prédictions et ses prophéties, est cependant un homme différent des autres. "Ferdinand OSSENDOWSKI, "Bêtes, hommes et dieux".
Le lecteur entrevoit dans ce passage du récit de Ferdinand Ossendowski une critique du lamaïsme. Les critiques d’un proche du Dalaï-lama, Herbert Röttgen, alias Victor Trimondi, complètent celles de Ferdinand Ossendowski. Elles révèlent des aspects obscurs se rapportant au royaume mystérieux de Shambhala, nommé aussi Shangri-la. Pour Ossendowski, la terre mythique des grands initiés tantriques se nomme Agarttha. Selon les informations réunies par Ossendowski durant ses voyages, l’Agarttha est un royaume souterrain, ce qui peut faire frémir des lecteurs sur la nature des initiés du monde d’en bas.