Les Paramahamsa sont des mystiques libertaires véritablement affranchis de toutes les contraintes religieuses.
Docteur en études indiennes de l’université de Paris, chargée de recherches au CNRS, Tara Michaël est une spécialiste internationalement reconnue du yoga, du tantrisme et des danses de l’Inde, où elle a vécu longuement. Elle écrit :
" La Jabala-upanishad décrit les Paramahamsa comme " sans signe distinctif (avyaktalinga), sans mode de vie distinct, apparent ou compréhensible (avyaktacara), et se conduisant comme des fous, bien que possédant toutes leurs facultés ". Ils doivent avoir jeté leur triple bâton, leur gourde, leur besace, leur bol à aumône, leur filtre à eau, leur touffe de cheveux et leur cordon brahmanique dans l’eau, les offrant comme oblations. Ils retournent à leur état d’avant la naissance, libre de toute attache, sans possession, et ne sont pas affectés par les couples d’opposés comme le plaisir et la souffrance, ayant réalisé l’essence pure du Soi.
Dans de nombreux ordres de yogin et de renonçants, le dernier stade de la réalisation spirituelle se manifeste par le rejet de tout vêtement. Le yogin n’a plus d’autre possession que son corps et demeure complètement nu. C’est ainsi que les Jaina sont divisés en deux sectes, les Svetambara, " vêtus de blanc ", et les Digambara, " vêtus d’espace " constituant la secte la plus ancienne, celle qui pousse l’idéal de renoncement jusqu’à ses applications extrêmes. Les Nâga, ascètes shivaïtes, n’ont aussi que l’air et l’espace pour couvrir leur corps, quelles que soient les intempéries. Les Avadhuta, littéralement " ceux qui ont fait sauter tous leurs liens, se sont dégagés de tout ce qui les enserrait ", sont une autre secte qui professe être au-dessus de toute observance. Ils peuvent être complètement nus, ou n’avoir qu’un lambeau d’étoffe couvrant les parties génitales. Cette suprême indifférence aux conventions sociales n’est pas réservée aux hommes seulement, mais se trouve aussi chez les femmes ascètes de cette secte, les Avadhutani. D’une manière générale, la robe signifie la fonction, et celui qui a atteint l’état inconditionné ne peut plus porter aucun vêtement, ne peut plus s’identifier à aucun rôle, ne peut plus " revêtir " aucune détermination particulière. La complète nudité de l’ascète marque la dissolution totale de son être individuel dans le Soi omniprésent, indéterminé, non qualifié, indescriptible et inaccessible à la pensée et à la parole (nirguna-Brahma). Vacaknavi Gargi, la femme qui dans la Brhad-aranyakaupanisad met à l’épreuve le sage Yajnavalkya par ses questions redoutables posées en présence du roi Janaka et de tous les brahmanes, était de la sorte une " Connaisseuse du Brahman " qui ne daignait pas voiler sa nudité. Dans certaines sectes de bhakti également, les adeptes marquent leur rupture avec le domaine des règles et des conventions sociales par le rejet de tout vêtement. En effet, celui qui a pris refuge dans la Divinité suprême est délivré de tout dharma, de toute loi d’action particulière. Il échappe au réseau des règles et de comportements qui constitue l’ordre humain ; toute notion de décence ou d’indécence ne s’applique plus à lui. Tout ce qui est acquis, tout ce qui a été " fait ", institué, ne saurait être coercitif pour celui qui s’est immergé dans l’Incréé. Mais en brisant la légitimité, le bhakta ne peut être accusé de tomber dans l’adharma, il ne fait qu’exemplifier la possibilité de transcender le dharma, de vivre dans la liberté totale de celui qui s’est fondu en Dieu. Ainsi, Mahadeviyakka, contemporaine de Bavasa et d’Allama au 12ème siècle, était une adoratrice de Shiva qui errait, nue et ivre de Dieu, et qui nous a laissé de nombreux poèmes mystiques en langue kannada, tels que celui-ci :
" Les gens, hommes ou femmes,
rougissent quand une étoffe,
voilant leur honte, se défait…
Quand le Seigneur de toute vie
demeure ignoré, sans un visage dans le monde,
comment pouvez-vous être pudique ?
Quand le monde entier est l’œil du Seigneur,
Regard omniprésent,
Que croyez-vous couvrir et cacher ? " (120)
rougissent quand une étoffe,
voilant leur honte, se défait…
Quand le Seigneur de toute vie
demeure ignoré, sans un visage dans le monde,
comment pouvez-vous être pudique ?
Quand le monde entier est l’œil du Seigneur,
Regard omniprésent,
Que croyez-vous couvrir et cacher ? " (120)
Ou encore :
" Vous pouvez dérober
l’argent que la main tient serré,
mais pouvez-vous confisquer
la gloire du corps ?
Vous pouvez arracher,
pièce par pièce, vos vêtements
Mais pouvez-vous dépouiller
le Vide, la Nudité
qui voile et qui recouvre ?
Pour la fille éhontée
qui s’enveloppe de la lumière du matin
de son Seigneur à la blancheur de jasmin (121)
Ô fou, quel besoin de vêture et de bijoux ? " (122)
De la même façon Lalleshvari, la fameuse yogini et sainte shivaïte du Kashmir (vers 1300-1400), " errait en ascète, chantant et dansant entièrement nue. Lorsqu’on lui reprochait son indécence, elle répondait que seuls sont des hommes ceux qui craignent Dieu, et que, vu leur nombre restreint, il valait guère la peine de se vêtir ". (123)
http://www.les-108-upanishads.ch/paramahamsa.html